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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/867

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Bientôt, il ne resta plus rien dans les fenils ; le foin, qui vaut habituellement 60 à 70 francs la tonne, atteignit les prix de 140, 150, 180, 200 francs la tonne. Ce fut une panique ; de toutes parts, on conduisit sur les marchés les animaux qu’on ne pouvait plus nourrir. Et comme tout le monde se trouvait dans la même situation, que les marchés regorgeaient d’animaux, la baisse prit des proportions effrayantes. La panique a duré de quinze jours à trois semaines, pendant lesquels les cours se sont littéralement effondrés.

C’est d’abord tout le bétail de médiocre valeur qui est sacrifié. À la foire de Langres, le 2 juin, on vend des vaches de 40 à 60 francs, des chevaux de 20 à 30 francs, pour la boucherie ou les fabriques d’engrais ; dans la Saône-et-Loire, à Louhans, les vaches sont vendues, le 12 juin, de 50 à 80 francs la pièce, des bœufs de trait, 180 francs la paire ; en d’autres points, on cède des vaches pour 25 francs, on échange des veaux contre une paire de bons poulets. Dans la Côte-d’Or, le 7 juin, à Arnay-le-Duc, des vaches sont vendues de 80 à 100 francs ; dans la Haute-Vienne, les animaux n’atteignent que le tiers de leur prix habituel ; dans l’Orne, on ne trouve plus d’acheteurs pour les bêtes à cornes, de vieux chevaux de 12 à 15 ans, pouvant encore rendre des services, sont vendus en foire, pour le prix de la peau. Dans l’Indre, des vaches valant 300 francs sont abandonnées à 80 francs, 60 et même 40 francs.

Des marchands allemands acquièrent à vil prix, dans nos foires de l’Est, des animaux destinés surtout à la confection des conserves alimentaires. Naturellement le marché de Paris est encombré ; habituellement l’abattoir de la Villette reçoit de 3,000 à 3,500 animaux de race bovine, à chaque marché ; en mai, le nombre augmente, il atteint en moyenne 3,696 têtes, mais en juin il s’élève à 4,843 ; c’est non seulement le nombre des animaux qui montre les difficultés au milieu desquelles se débattent les cultivateurs, mais aussi leur nature ; en temps normal, Paris consomme surtout des bœufs, les vaches ne forment guère que le cinquième ou le sixième des animaux abattus. Or, au lieu de 590 et 627 vaches qui représentaient la moyenne des vaches sacrifiées en mai et juin 1891, on en compte 1,136 et 1,400 aux mêmes époques de 1893.

On ne se figure pas, quand on n’a pas vécu à la campagne, combien est cruelle, pour le paysan qui peine toute l’année sur quelques hectares, la perte ou même la diminution de son bétail ; pour acquérir une vache, il faut débourser une grosse somme : 300 francs ; on s’y décide, car une bonne vache diminue les privations ; elle donne du lait pour les enfans, un peu de beurre à porter au