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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/90

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et ils travailleront toute la nuit, — parce que la nuit ils seront moins distraits, dit mon hôte, —.puis toute la matinée, et la première partie encore de l’après-midi, jusqu’à 3 heures. Cette journée formidable leur sera payée 1 fr. 25. Quant à leur nourriture, où n’entrent ni le vin, ni la viande, le menu de leur déjeuner du matin peut en donner l’idée : deux gousses de poivre trempé dans l’huile et un morceau de pain noir.

— Vous comprenez pourquoi, ajoute philosophiquement le propriétaire de bergamotes, l’émigration est si abondante dans ce pays-ci !

Nous montons avec lui vers la partie haute du domaine. Bientôt, à la limite où les canaux d’irrigation peuvent porter l’eau, le bois d’agrumes cesse. La terre, pierreuse, ardente, roussie parle soleil, ne nourrit plus que des vignes, attaquées par le phylloxéra, et des figuiers aplatis, étalant leurs feuilles près du sol. À mesure que nous nous élevons, la végétation s’appauvrit. Un torrent desséché, pareil à une route poussiéreuse, semble indiquer la fin du paradis terrestre de Reggio. Au-delà, il n’y a plus qu’une dentelle de pentes inégales couvertes de cactus, et les grandes cimes de la Calabre.

Un coin de Sicile. — L’Etna en éruption. — Je voulais remettre le pied sur cette terre de Sicile, dont j’avais, deux ans plus tôt, rapporté de si chers souvenirs, et surtout revoir l’Etna, dont l’éruption durait encore. Elle avait commencé en juillet. On la disait finissante, et, bien des fois déjà, je m’étais imaginé le spectacle de ces laves rouges parmi les pentes monstrueuses, dans la région des rochers semés de fougères ou dans celle, plus basse, des bois de châtaigniers. De Reggio, la nuit, j’avais cherché une étincelle sur le flanc de la montagne. Mais rien n’apparaissait de ce côté. Il fallait débarquer à Messine et prendre le train pour Aci-Reale.

Il est doux de revenir à de pareilles routes, dont la beauté semble être immuable et dépendre à peine des saisons. J’avais parcouru celle-là en été. À présent, c’était le plein hiver. Mais peu de choses avaient changé. Nous croisions des trains chargés de citrons en caisses ou même entassés à l’air libre, comme des pommes normandes. Les montagnes de droite n’avaient perdu ni la verdure de leurs oliviers et de leurs cactus, ni l’étonnante silhouette de leurs crêtes dentelées, que couronne çà et là un vieux fort sarrasin. Leurs flumare n’avaient guère plus d’eau qu’au mois d’août. À gauche, je reconnaissais les pentes précipitées plantées de vignes et de bois d’agrumes, les villas des bourgeois de Messine, amateurs de vergers, les caps aux ombres très bleues sur la mer et les barques de pêche tirées au bord du flot. Je retrouvais même cet étonnement