de la rivière, sortit une bande d’hommes armés qui se ruèrent sur la petite troupe en criant : « Empire ! Empire ! » En un clin d’œil, les brigands investirent les deux litières, frappant à grands coups d’épées et de bâtons ferrés sur les porteurs qui lâchèrent prise et se mirent sur la défensive. Victorien, qui chevauchait en avant à travers les bouquets de saules, tourna bride et lança son cheval avec une telle impétuosité qu’il rompit le cercle des assaillans, et, brandissant sa masse d’armes, après en avoir étourdi trois ou quatre, se trouva tout près de Pia qu’un brigand au costume bizarre, demi-moine et demi-soldat, arrachait brutalement aux bras de la pauvre abbesse évanouie. Le chevalier sauta à terre, et, tirant sa dague, l’enfonça entre les épaules du ravisseur, qui tourna sur lui-même, les bras en croix et roula mourant aux pieds de la jeune fille. Alors seulement Victorien reconnut le prêtre magicien de la tour des Saints-Jean-et-Paul, Déodat.
À quelques pas plus loin, Joachim, le cardinal, Egidius et l’abbé de Saint-Bénigne couvraient la personne de Grégoire, debout au milieu de la mêlée et défendu par ses serviteurs, dont l’arme la plus sérieuse étaient les brancards de la litière pontificale :
— Courage, notre Seigneur ! cria le baron, et, l’épée au clair, il bondit du côté du pape.
Mais déjà Roger traversait la rivière avec ses chevaliers, la lance en arrêt. Les bandits, se jugeant perdus, firent volte-face et s’enfuirent dans le bois. Un seul se battait encore en un duel mortel contre Egidius. C’était un homme de guerre, un capitaine, à l’armure délicatement ouvragée, dont les yeux étincelaient à travers la visière abaissée de son casque d’acier. Le moine, lui, était vraiment formidable. Il avait tiré un bâton ferré des mains de l’un des hommes abattus au premier moment par Victorien, et il attaquait son adversaire avec une fureur fanatique, le criblait de chocs violens et déconcertait par sa fougue tous ses mouvemens. Ce n’était pas contre un coupe jarret à la solde de l’empereur ou du faux-pape que se battait ainsi Egidius, mais contre un sacrilège, un suppôt de l’Antéchrist, et il vengeait l’outrage fait à l’Église même sur la personne de son premier pasteur.
Victorien s’élançait au secours du moine. Grégoire le retint par un bras avec une force prodigieuse et l’arrêta.
— Remettez votre épée au fourreau. Je vous l’ordonne au nom de Jésus-Christ. Laissez faire ce moine et n’aidez pas, malheureux enfant, à la justice de Dieu !
L’homme de guerre, à la vue de Victorien, avait chancelé ; ébranlé à ce moment même par un assaut plus terrible d’Egidius, il glissa et tomba lourdement. Le moine se coucha tout de son