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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/136

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répand au dehors. Dans une récente et mémorable discussion qui a eu lieu à l’Alliance française, la réforme orthographique, vantée par quelques professeurs, a été combattue et finalement écartée par les hommes pratiques qui font partie de l’association. De toutes les orthographes, ont-ils dit, la plus compliquée est l’anglaise : et cependant nous trouvons les Anglais établis sur tous les points du globe. Ils ont appris leur langue à deux cents millions d’hommes.

V

Revenons, pour finir, à la note de M. Gréard. Elle a eu le mérite, comme nous le disions en commençant, de rappeler l’Académie à une de ses fonctions. En vérité, quand on voit comment a été faite la dernière édition du Dictionnaire, celle de 1878, on croirait que la noble Compagnie en avait chargé l’un de ses appariteurs. Je connais des imprimeurs qui n’en peuvent parler sans un haussement d’épaules. Il est même probable que cette prise d’armes à laquelle nous assistons depuis quelques années a eu pour cause première la vue des corrections irréfléchies apportées par l’édition de 1878. On sait que les deux choses les plus propres à amener des révolutions sont, après une longue apathie du pouvoir, des réformes imparfaitement méditées. La polémique qu’a provoquée le rapport doit donc être considérée comme un signe favorable et un fait heureux. Une conséquence à laquelle on ne prête pas assez attention, c’est la complète déroute du phonétisme. Les phonétistes avaient ouvert la campagne, non sans bruit : il semblait que tout allait leur céder. Aujourd’hui ils se taisent, ils ont évacué le champ de bataille ; c’est à qui les désavouera. Tel est le bon côté de toute discussion réglée. Le public a senti qu’une orthographe phonétique, qui peut convenir pour noter un patois, ne saurait être l’écriture d’une nation comme la France. Un homme aussi peu suspect de superstition pour le passé que le professeur américain Whitney déclarait naguère dans un congrès de philologues qu’un alphabet destiné à être l’organe d’une vaste communauté ne devait pas aspirer à l’exactitude des écritures phonétiques. Félicitons-nous d’avoir échappé à ces prétendus libérateurs, car ils auraient été les pires despotes. En un État bien tempéré on peut laisser aux citoyens une honnête liberté. Consulté sur des difficultés de cet ordre, ma réponse ordinaire était : « Faites comme vous voudrez, cela n’a pas d’importance ! » Mais avec ces révolutionnaires, tout manquement devenait un attentat au nouvel ordre de choses. Nous en sommes délivrés : leurs théories, qui n’avaient de chance de se faire écouter que grâce à l’universel silence, n’ont pas tenu devant un examen sérieux.