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soin d’affirmer sa parfaite union avec Mme de Châtillon, passeport nécessaire pour toute proposition soumise à Condé.

M. le Prince avait prêté l’oreille. Mais au travers de ces préliminaires survint la mission du père Vanegas, puis la négociation Fuensaldaña, puis encore le voyage de Lionne en Espagne. Condé dut s’expliquer avec le cabinet de Madrid par l’intermédiaire de son représentant, le comte de Fiesque : « M. don Louis[1] sait que je ne seray jamais capable de rien faire au préjudice de mon honneur, ni contre la parole que j’ay donnée à S. M. Cath. Quant à la seconde proposition de M. de Longueville qui regarde mon fils, véritablement si sad. Majesté et M. don Louis y voulussent consentir, je l’accepterois très volontiers, car j’y vois des avantages pour moi extrêmement considérables. Nonobstant cela, je n’y songeray en façon quelconque si S. M. et M. don Louis ne le trouvent pas à propos[2]. » Les ministres du roi, fut-il répondu, ne peuvent admettre que M. le Duc aille en France ni se sépare de son père, et s’étonnent que M. le Prince « ait confiance dans un homme qui lui conseille de traiter sans en faire part à S. M. catholique »[3]. Il ne fut plus question des couches de Madame la Princesse ; l’affaire en resta là. Mais la glace était rompue ; il y avait eu échange d’idées, quelques jets de lumière projetés. Mme de Longueville tient dans ses mains un fil qu’elle ne peut pas toujours tendre, mais qu’elle ne permettra pas de couper.

Tant que durent les opérations actives, surtout si le sort favorise les armes d’Espagne, il est difficile de serrer les nœuds : pendant la campagne de 1656, le silence fut complet. Avec les premiers mois de 1657 commence une négociation occulte, très serrée, dont les phases se déroulent dans une correspondance qui est en partie sous nos yeux. Nous en marquerons le caractère, les traits principaux, la trame et l’action.

Le secret était l’essence même du succès, et cette allure mystérieuse donnait à l’affaire comme un parfum de conspiration. On conspirait, en effet, non pour agiter ou affaiblir la France, mais pour détacher Condé de l’Espagne et le rendre à sa patrie. Il importait que ni à Madrid, ni au palais de Bruxelles, on pût rien savoir avant que tout ne fût réglé. Et d’autre part, en traitant avec Mazarin, il fallait lui dérober bien des détails, prendre soin de ne laisser entre ses mains aucune pièce, aucun embryon d’engagement, aucune arme enfin dont il pût se servir pour perdre Condé auprès des Espagnols en lui fermant plus solidement que jamais les portes de la France : à plusieurs reprises, en effet, il le tenta. Là

  1. Don Luis de Haro, premier ministre.
  2. M. le Prince au comte de Fiesque, 2 mars 1656. A. C.
  3. Le comte de Fiesque à M. le Prince, 28 mars, 3 avril 1656. A. C.