contre eux. Les hommes se sont organisés en société afin de travailler en commun à l’œuvre de la civilisation qui est le progrès et l’adoucissement des mœurs ; et de l’institution sociale est sortie la guerre qui n’est pas seulement un retour à la sauvagerie originelle, mais qui en est une aggravation, car les « vrais sauvages ne sont pas ceux qui se battent pour manger les vaincus, mais ceux qui se battent pour tuer, rien que pour tuer ». Les sociétés sont régies par des lois, et ces lois ne font que perpétuer en les consacrant d’odieuses coutumes et des préjugés criminels. Au-dessus des lois il y a la morale, et c’est en son nom que se commettent les pires iniquités. Au-dessus de la morale il y a la religion, et la religion, quand elle n’est pas une hypocrisie, est un leurre et une duperie. — À quoi donc aboutit, pour faire exactement le compte, tout ce travail où s’épuise depuis des siècles la pensée humaine, l’éternelle travailleuse ? Ah ! s’il n’était que stérile ! Mais c’est lui qui nous rend l’existence si douloureuse et qui nous fait à nous seuls, parmi tous les êtres qui peuplent la surface de la terre, un privilège du malheur. Car les bêtes, qui ne pensent pas, ne souffrent pas[1].
Pour ce qui est des hommes que Maupassant rencontre dans la vie et de ceux qu’il met en scène dans ses livres, plus l’activité cérébrale est développée chez eux, et moins il les estime. À peine fait-il une exception pour les artistes et les écrivains, par camaraderie sans doute et solidarité confraternelle. Parmi tant de personnages qui traversent sa « comédie humaine », il n’y a pas un être de culture supérieure. Ceux qui mènent la vie élégante, les raffinés et les mondains, lui paraissent tout particulièrement méprisables. Ils passent à côté de tout sans rien comprendre. Leurs aspirations, leurs goûts, leurs sympathies et leurs plaisirs eux-mêmes, tout chez eux est factice, frivole, convenu et faux. Les bourgeois, peuple de bacheliers et de fonctionnaires, ne sont pas moins ridicules, et ils sont plus laids. Maupassant serait tout près de leur préférer ces paysans rusés qui mettent au service de leur convoitise tant d’ingénieuse et d’amusante sournoiserie. Mais toutes ses sympathies vont à des êtres simples, dont les corps sont vigoureux et sains et qui, uniquement jaloux de développer leurs muscles et de jouir des biens de la terre, retrouvent, en ne suivant que les impulsions de l’instinct, le vrai sens de la destinée humaine[2].
L’unique sentiment à la peinture duquel Maupassant est sans cesse revenu, l’amour, dans lequel il voit aussi bien l’unique attrait de la vie, c’est de même qu’il l’a dépouillé de tout idéal. Il le vide