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dans le cours des temps et chacun à son heure, c’est parce que le concours de la science et des volontés hiérarchiques y ont facilité l’inspiration aux fidèles et aux croyans des divers cultes. Les seules vraies révélations sont celles qui viennent du dedans. Certes je crois à l’Au-delà, à l’Invisible, au Spirituel. J’y crois philosophiquement, parce qu’il est le dessous, la raison et le levier de l’univers ; et psychiquement, parce que sans lui l’âme demeure inexplicable en son principe comme dans ses phénomènes. Ce verbe de l’Esprit et de la Vérité parle en modes divers à l’artiste, au poète, au sage et au saint. Mais, à ceux-ci comme à la plus humble des créatures aimantes et pensantes, il ne parle qu’en passant par son sens intérieur. Et pourtant le genius loci des Latins n’est pas non plus un vain mot. Pierres taillées, monumens, symboles immuables, races qui portent l’empreinte religieuse du passé, et par-dessus tout cette âme éparse et fluide qui respire dans les choses et les harmonise, ne sont-ce pas là des aides puissans pour éveiller ce sens intérieur ? À mon tour, et après tant d’autres, je voudrais consulter les plus vieux sanctuaires du monde, d’où sortirent les idées mères dont l’humanité a vécu et dont aujourd’hui nous devons composer un tout nouveau, en remontant le plus possible, comme il le faut dans les grandes crises, à la source de la vérité éternelle. Peut-être que de ces sanctuaires reconstitués d’une vision plus nette, nous pourrons, comme d’observatoires bien placés, jeter un regard plus large et plus clair sur le monde actuel d’Orient et d’Occident. Mais, dans cette course, ne préjugeons rien ; confions-nous au génie de l’heure, et, sans perdre de vue le but, livrons-nous au torrent des impressions nouvelles.

À l’aube grise, nous avons longé la Corse hivernale, barricadée derrière ses récifs, anguleuse et sauvage, avec ses épaules d’acier et ses cimes neigeuses, l’île de la vendetta et de Napoléon. Le deuxième matin, entre les îles Lipari et Stromboli, souffle la première brise du levant. L’air est devenu chaud et caressant. La mer s’est calmée ; ses petites vagues ont pris une teinte indigo irisée en gorge de pigeon. Nous approchons de l’île maîtresse qui forme le pivot du grand bassin méditerranéen, centre d’éruption volcanique et centre d’évolution civilisatrice. Car cette île fut le premier trait d’union entre la Grèce et l’Italie et le premier foyer de la Renaissance sous Frédéric II. Déjà elle se dentelle à l’horizon, en lignes sombres et hardies, la riche, l’indépendante, l’audacieuse Sicile, sous des banquises de nuages sulfureux. Un paysage à la Salvator Rosa : lignes sur lignes, vallées sur vallées, des formes volcaniques et tourmentées ; le tout dominé par une haute montagne, contrefort septentrional de l’Etna. Ses côtes de