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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/343

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à travers l’isthme de Kraw. L’entreprise paraît faisable.

Sur le versant occidental, le fleuve Pack-Cham n’a pas moins de 3 kilomètres de large à son embouchure, avec des fonds de 42 à 13 mètres. À 25 kilomètres en aval, au confluent du Kou-mou-Yaï aux eaux bleuâtres, la profondeur est encore de 9 mètres. Sur l’autre versant, le Tay-Oung, qui devient le Tseompéon quand il approche du golfe de Siam, est également navigable dans la plus grande partie de son cours. Quelques travaux d’approfondissement dans le haut des deux vallées, et, pour les réunir, un canal de 11 kilomètres seulement, franchissant la chaîne sauvage du Tenasserim par un col qui n’est qu’à 30 mètres de hauteur, la communication serait établie. La nouvelle voie aurait, il est vrai, quelques écluses, mais son parcours ne serait que de 70 kilomètres. Son utilité, et elle ne serait pas négligeable, consisterait à permettre aux navires de passer de l’océan Indien aux mers de Chine en dix ou onze heures au lieu des quatre jours de navigation difficile qu’exige le détour par le détroit de Malacca. Ce raccourcissement serait favorable sans doute à nos relations avec le monde indo-chinois. Mais le principal bénéfice en reviendrait encore au pavillon anglais qui représente plus des trois quarts du mouvement maritime d’une mer à l’autre. Pourquoi donc sir Charles s’émeut-il ?

Soumis à ce fatidique sic vos non vobis qu’on pourrait inscrire au frontispice de notre histoire nationale, ne sont-ce pas les Français qui percent les isthmes et les Anglais qui y passent ?

Qu’on se rassure d’ailleurs à Westminster et dans la Cité. L’épargne française ne paraît pas, pour le moment, disposée aux lointaines spéculations. On lui en propose de plus voisines, de purement françaises, en faveur desquelles on surexcite cette sorte de nervosisme inquiet, confondu à tort avec la noble émotion du patriotisme, et qui n’est qu’un chauvinisme plus facile à circonvenir qu’à éclairer.

C’est en effet en le qualifiant d’« entreprise de préservation nationale » qu’il y a treize ans de cela, un sénateur du Midi, fort mêlé toute sa vie aux grandes entreprises de travaux publics, et dont je ne veux pas mettre en doute l’intention généreuse et désintéressée, lança dans le public et soumit au gouvernement un projet de canal maritime de l’Océan à la Méditerranée. Ce devait être la compensation de la perte — Toujours douloureuse — De nos deux provinces, françaises entre toutes, l’Alsace et la Lorraine[1] ; c’était aussi Gibraltar annihilé notre puissance maritime au moins doublée, le Gothard, Brindisi, Salonique rendus inutiles, et le

  1. Société d’études du canal maritime de l’Océan à la Méditerranée. — Paris, imprimerie Wittersheim et Cie, 1880, p. 1 : « La France est diminuée : notre devoir est de reconstituer l’équivalent des forces qu’elle a perdues. »