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le long de leur projet, comme pour les consommations d’eau, comme pour l’étanchéité des terrains, comme pour le touage, comme pour le maintien des communications d’une rive à l’autre, comme pour tout, ils prennent leurs désirs pour des réalités :


Une flatteuse erreur emporte alors leurs âmes,


et, sans craindre de rester Gros-Jean comme devant, ils résolvent de même façon toutes les difficultés auxquelles se heurte leur projet.

Leur projet ? Remarquons qu’il part de Bordeaux et aboutit à Narbonne. Aux deux extrémités, on est encore loin de la mer. Il faut la joindre. Ce sera l’affaire de l’Etat, avait-on dit d’abord. Celui-ci s’étant montré réfractaire, force a bien été aux demandeurs de se charger aussi de ces deux terminus. — Du côté de l’Atlantique, on avait d’abord parlé d’utiliser la Gironde ; puis, la trouvant précaire et insuffisante, on avait poussé le canal jusqu’au Richard, dans la baie de Trompe-le-Loup, soit un prolongement de 54 kilomètres. En dernier lieu, sans doute pour punir Bordeaux d’un certain manque d’enthousiasme, le projet le plus récent dévie le canal vers la baie d’Arcachon. Celle-ci, il est vrai, pour se rendre digne de cet honneur embarrassant, devra se creuser et s’ouvrir sur la mer un accès large et profond à travers des barres encore aujourd’hui à peine accessibles aux petits navires de pêche. De l’autre bout, Narbonne est moins loin de la Méditerranée que Bordeaux de l’Océan : un prolongement de 14 kilomètres permet d’atteindre cette côte inhospitalière, d’où les vents et les courans ont éloigné jusqu’ici les navigateurs. Il n’importe ; on a fait le plan du port futur. Où le mettra-t-on ? À Gruissan, plage battue de la tempête, sans horizon et sans profondeur, au Grau du Grazel ou à celui de la Vieille-Nouvelle, qui ne valent pas mieux comme atterrissages ? Ici ou là ce sera le point de débouquement du Canal. Mais, à défaut des cuirassés que les amiraux refusent d’y compromettre, on espère encore, pour conserver au canal un semblant d’importance stratégique, que les croiseurs légers, les avisos, les torpilleurs, consentiront à s’en servir. Et, tout de suite, on nous en prévient, il faut alors aux nouveaux ports des défenses, des forts, des batteries, des canons. Ce sera ici une annexe de Toulon, là-bas, un second Cherbourg, Nouvelles dépenses ; mais celles-ci, on l’espère bien, l’Etat rougirait de ne pas s’en charger. L’Etat rougit à moins. — Avec ces complémens obligatoires, le canal, le vrai canal des Deux-Mers, celui qui véritablement ira d’une mer à l’autre, n’aura pas moins de 500 kilomètres.

L’œuvre est immense, comme l’on voit : que coûtera-t-elle ? Il ne faut évidemment pas s’en tenir aux évaluations sans aucun