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ce travail aux autres ministres, n’était pas de formuler une énumération pure et simple, mais bien d’établir l’esprit dans lequel chaque loi nouvelle serait conçue et la solution qu’elle tendrait à consacrer. Par cet échange de vues, le cabinet était amené à reconnaître le désaccord ou l’unité des doctrines existant entre ses membres sur la ligne qu’il entendait suivre.

Au programme affirmatif des réformes qu’on se propose d’accomplir, a été adjoint un contre-programme, négatif, des mesures que le gouvernement se fera un devoir de repousser, telles que la séparation des églises et de l’État, la révision de la constitution, l’impôt sur le revenu et autres soi-disant progrès qui constituent la plate-forme du radicalisme. M. Goblet n’aura donc pas besoin, comme il en avait manifesté l’intention, de poser sur les points qui précèdent des questions insidieuses au ministère, afin de le faire sortir « des déclarations vagues et ambiguës ». Le ministère prend les devans.

Il se déclare opposé à l’amnistie, qui ne serait qu’un encouragement aux fauteurs de désordre, et répond ainsi par avance à l’interpellation que MM. Millerand et Basly ont l’intention de lui adresser sur son attitude pendant cette longue et triste grève du Pas-de-Calais qui vient de finir. Quant à la loi sur les associations, celle que M. Dupuy présentera sera, — nous voulons le croire, — Tout le contraire du projet déposé en 1892 par le cabinet Freycinet, dont le principal mérite consistait, suivant le mot d’un ancien député de Paris, « à tordre le cou aux congrégations religieuses sans en prononcer le nom ».

Bref, le nouveau ministère Dupuy, bien que composé des mêmes personnes, ne ressemble en rien à l’ancien ministère Dupuy, où l’on comptait, en dehors des ministres de la guerre et de la marine, trois modérés et cinq radicaux. Ce sont bien, si l’on veut, les mêmes noms ; une partie de ceux qui les portent ont dépouillé le vieil homme ; ils ont reçu le saint-esprit électoral qui a soufflé sur leurs convictions anciennes, dont il n’est plus rien demeuré. Par exemple, ce n’est pas dans le cabinet nouveau que l’on rencontrerait un ministre des finances comme M. Peytral, donnant brusquement sa démission en juillet, pour marquer qu’il réprouvait la conduite énergique du préfet de police, M. Lozé, vis-à-vis de l’émeute. Au contraire, le nouveau M. Peytral s’associe de tout cœur à la compensation que l’on accorde à ce fonctionnaire, dont on reconnaît les qualités de diplomate en le nommant ambassadeur à Vienne.

Il se trouvera des gens pour dire que les membres radicaux du cabinet ont sacrifié leurs principes à leurs intérêts, qu’ils ont plié plutôt que de rompre, et que, jugeant le modérantisme profitable, ils l’ont estimé nécessaire. Rien ne démontre toutefois que cette accusation serait fondée ; et il nous plaît, à nous qui avons demandé que l’on ne