Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parle à son maître, redressé de toute sa hauteur quand il parle au nom de son maître ; d’une inquiétude sans borne au moindre accroc qui menace la santé du roi, d’un visage inébranlable en face de l’ennemi ou des grands ; d’ailleurs toujours noble, égal à lui-même, car la foi monarchique n’a pas d’hésitation et le ministre ne se sent pas plus petit pour s’incliner devant le trône que le prêtre pour s’agenouiller devant l’autel.

Quant aux acteurs secondaires, leur physionomie se modifie profondément d’un siècle à l’autre. Dans une galerie de portraits historiques du XVIe au XVIIIe siècle, la différence des figures est frappante. Les premières ont les traits rudes et simples, le regard droit ; elles se tiennent raides dans leur fraise empesée, avec un air de force et de dignité ; leur mâle assurance révèle des hommes façonnés à tous les genres d’action, et sur leur front robuste, le pli de la méditation se croise quelquefois avec les cicatrices du champ de bataille. Ces hommes ont été tour à tour soldats, diplomates, vice-rois, comme ce Du Bellay qui fut le protecteur de Rabelais ; ou bien, comme Sully, avant de diriger les « économies royales », ils ont reçu vingt arquebusades dans le corps. — Les portraits du XVIIe siècle se recommandent par la gravité, l’ampleur, la majesté : ce sont des hommes bien assis sur des principes qu’ils jugent inébranlables. C’est un moment d’équilibre où le service du roi se confond réellement avec l’intérêt public. On les voudrait cependant un peu moins surs d’eux-mêmes. Ils sont guindés sur un dogme. On les sent tout près de prendre la forme pour le fond et l’idole pour le dieu. Vers la fin du siècle, l’originalité s’affaiblit, les traits amollis s’alourdissent sous la large perruque, le pli de la bouche moins ferme révèle une gravité de commande plutôt qu’une conviction personnelle. — Les portraits du XVIIIe siècle sont délbérés, pimpans ; ils ont l’œil vif et hardi, et affectent la désinvolture. Ils se drapent coquettement dans la si marre ou l’hermine. Ils cherchent l’effet. S’ils portent encore la cuirasse ou le manteau ducal, c’est pour faire briller l’acier ou chatoyer le velours. Le diplomate, le guerrier ont lu les philosophes. Ils estiment qu’il est de mauvais ton de se prendre au sérieux. Tout à l’heure, ils vont rejeter cet attirail incommode pour souper avec les beaux esprits. Le poids des affaires semble trop lourd. On a si grand’peur de passer pour pédant, qu’après avoir feint la légèreté, on devient léger en effet. L’homme de cour l’emporte sur l’homme d’Etat. Il est encore très capable d’adressé et d’intrigue, il connaît bien l’Europe officielle ; mais après avoir admiré son agilité, son esprit de ressource, on s’étonne de la pauvreté de ses conceptions. Telle cette intrigue si savante et si vaine,