le boudoir des maîtresses. Il déroule alors ses plans, rédigés en style de prospectus. On le met vingt fois à la porte ; mais il est endurci à tous les déboires : ne travaille-t-il pas pour le bien public ? À la fin, le monarque, ennuyé, l’écoute et souvent se laisse séduire ; le goût du jeu réveille son esprit que les affaires d’une longue suite endorment ; ou bien il s’amuse aux détours de la diplomatie secrète. C’est ainsi que Louis XV intriguait, en Europe, contre son propre ministère[1]. Si le roi est inaccessible, l’inventeur de remèdes infaillibles se tourne du côté des philosophes ; il confie son idée à Voltaire ou à Grimm ; il fait trompetter son projet par les cent bouches de la Renommée ; il s’impose à la lassitude ou au scepticisme du pouvoir et, de plus, ayant séduit les distributeurs patentés de la gloire, il conquiert encore dans l’avenir tous les badauds de la postérité. Que ne peut-il aussi conquérir des royaumes ? Malheureusement, il a tout prévu, sauf le premier courant d’air qui renverse toutes ses combinaisons. Quel dommage ! et quel génie ne brillerait pas dans le calcul de ces intérêts qui ricochent comme des billes, avec de savans chocs en retour, si seulement la réalité faisait des angles précisément égaux à ceux que l’on construit sur le papier !
Quand il arrive aux hommes d’aujourd’hui de lire certains mémoires diplomatiques, ils se croient devant un casse-tête chinois, tant les calculs de probabilités, présentés comme une série de théorèmes, paraissent subtils et difficiles à suivre. D’abord on admire parce qu’on ne comprend pas, comme un ignorant devant un ressort d’horloge. Mais l’admiration diminue en voyant que, sur le cadran de l’histoire, la marche des aiguilles correspond si rarement aux prévisions du mécanicien. Tout cet ingénieux appareil est aussi différent du monde réel que les pendules compliquées chères à nos ancêtres, avec leur lune, leurs planètes et leurs étoiles, différaient du véritable univers. Ces petites machines font bien dans un salon, mais elles se détraquent à l’air libre. La grande et tragique raison diktat de jadis, qui martelait le dur métal des peuples, devient, entre les mains des courtisans, un engrenage à la fois dangereux et fragile.
Ce qui choque le plus à la fin de l’ancien régime, c’est la puérilité d’une diplomatie qui s’agite dans le vide, parce qu’elle cesse de s’appuyer sur le véritable esprit de gouvernement. Mais elle n’est pas seule responsable de tous les embarras que le passé léguait à l’avenir. Ce n’est pas sa faute, par exemple, si l’État, tardivement formé, reste indécis dans ses contours extérieurs et
- ↑ Duc de Broglie, le Secret du Roi.