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production, dit-il, en tant qu’association autonome et fonctionnant par ses propres moyens, est impuissante à apporter aucune modification notable dans l’ordre de choses actuel. » Il ajoute avec discernement : « Toute association de producteurs, c’est-à-dire toute association d’individus exerçant le même métier et ayant par conséquent les mêmes intérêts professionnels, qu’elle s’appelle corporation professionnelle, chambre syndicale ou association coopérative de production, a nécessairement une tendance à l’égoïsme, j’entends par là à faire prédominer ses intérêts particuliers sur l’intérêt général : l’égoïsme corporatif est encore plus développé et plus tenace que l’égoïsme individualiste, et vous me permettrez bien de vous dire que les ouvriers, en cela, ne vaudront pas mieux que les patrons. Non seulement ces associations de production seront en état de guerre contre le consommateur, mais elles seront eu état de guerre entre elles, comme le sont aujourd’hui les fabricans, et feront revivre ainsi l’état d’anarchie industrielle que nous nous appliquons justement à faire disparaître[1]. »

Emanant du plus fervent protagoniste du principe coopératif, ces critiques sont intéressantes. On ne peut, non plus, refuser toute vérité à cette définition de l’association par Proudhon : « Un groupe dont on peut dire toujours que les membres, n’étant associés que pour eux-mêmes, sont associés contre tout le monde. » L’étude rapide, mais précise, que nous allons faire des associations de production permettra de dégager la part de vérité de ces jugemens.

La coopération de production doit séduire les ouvriers par la perspective d’un avantage moral et d’un avantage matériel. Le premier consiste en ce que les ouvriers n’auraient plus de patron, plus de maître, comme on disait autrefois ; ils s’emploieraient eux-mêmes, se surveilleraient et se dirigeraient eux-mêmes ou par des délégués qu’ils éliraient et qui seraient révocables. Ils deviendraient ainsi théoriquement leurs propres maîtres. Le sentiment de l’égalité et l’amour-propre puiseraient dans cette situation une vive satisfaction. Le second avantage, celui d’ordre tout matériel, dont la perspective peut aussi induire les ouvriers à créer des sociétés coopératives de production, c’est que les profits de l’entreprise écherraient, complètement aux ouvriers. Si, conformément à la croyance naïve de nombre d’ouvriers et aux enseignemens des socialistes, notamment de Karl Marx, les profits représentent simplement du travail non payé, s’ils sont en quelque sorte réguliers et proportionnels au chiffre des affaires, on conçoit que les

  1. De la coopération et des transformations qu’elle est appelée à réaliser, etc., pages 18 à 20.