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qu’hommes ayant su ou ayant pu se procurer des gérans très capables ; la subordination même qu’ils établissent du capital au travail et de l’élément intellectuel à l’élément du labeur manuel sont des conditions défavorables à ce succès.

Aussi, l’histoire de la coopération de production amène à diviser les sociétés coopératives de ce genre en deux grandes catégories : les unes qui échouent, et c’est de beaucoup le plus grand nombre, les autres qui réussissent, mais qui, d’ordinaire, se sont considérablement éloignées du type coopératif pur et qui finissent presque toutes par devenir de simples sociétés anonymes ordinaires où les actions se concentrent de plus en plus et finissent, pour la majorité, à n’être plus que la propriété de quelques personnes entreprenantes.

C’est ce qui nous a fait dire que, avec le temps, les sociétés coopératives de production ou meurent de maie mort ou se pervertissent, c’est-à-dire se transforment en n’ayant plus rien de coopératif que le nom. Il ne reste des véritables sociétés coopératives de production, quarante ou cinquante ans, par exemple, après leur fondation, que quelques associations de modique importance, se répartissant, d’ordinaire, de maigres profits.

L’examen des essais nombreux de sociétés de ce genre en France et en Angleterre depuis un demi-siècle environ va le démontrer : la généralité des associations de production ayant réussi dans l’un et l’autre pays ont cessé d’être des sociétés coopératives ; elles en gardent encore souvent l’enseigne, parce que celle-ci est d’un bon effet sur certaines natures de cliens.

On sait que la coopération, aussi loin qu’on peut remonter, a été la forme primitive de l’entreprise humaine. C’est elle qui, par des modifications graduelles, au fur et à mesure du perfectionnement des arts et de l’extension des affaires, s’est transformée en entreprise individuelle. De même que la propriété collective, avec des restrictions diverses, se trouve au berceau du genre humain, de même la coopération est la forme embryonnaire de la production. Aussi serait-il tout à fait vain de rechercher les premières sociétés coopératives ; elles se perdent dans la nuit des temps ; il est certain qu’il en a toujours existé. Mais les premiers de ces groupemens qui se sont constitués en vertu de la doctrine coopérative nouvelle et sur lesquels l’attention publique s’est portée remontent en France au régime de 1830 et en Angleterre quelques années après 1850.

C’est au philosophe socialiste chrétien Buchez qu’on attribue la fondation des premières de ces sociétés : d’après l’Almanach de la coopération française pour 1893, cet ardent réformateur, qui y est classé comme un des douze saints de la coopération, aurait