Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

introduisit en 1877 la participation des ouvriers aux bénéfices, non pas cependant pour tout le personnel, mais pour une partie. Dans les dernières années, M. Godin a transformé son établissement en une société anonyme qui, après la mort du fondateur, a aujourd’hui à sa tête Mme Godin. Cette société a une organisation très compliquée : le plan de M. Godin est que tout le capital social arrive avec le temps à appartenir aux ouvriers.

Plusieurs autres établissemens notables, ayant été constitués par des patrons individuels, hommes généreux et sans familles, les Grands Magasins du Bon-Marché par exemple, ont pris une organisation de même nature. Mais il est clair qu’on ne se trouve pas là en présence de véritables sociétés coopératives. C’est le patronat individuel qui a fondé ces établissemens ; c’est la générosité patronale qui, dans des proportions très diverses et suivant des combinaisons très variées, a admis les ouvriers ou les employés à la propriété. L’administration y reste encore très concentrée : l’expérience n’est pas assez longue pour juger des mérites de la transformation. Entre ces organismes et les véritables sociétés coopératives, il y a toute la différence qui existe entre une charte octroyée et une constitution démocratique pure.


III

On a voulu parfois imputer à la législation la lenteur des progrès de la coopération en France ou ailleurs. Toute la série des gouvernemens depuis 1848 s’est montrée cependant animée des intentions les plus bienveillantes à son endroit. On sait qu’un décret du 5 juillet 1848 mit trois millions à la disposition des sociétés ouvrières de production à titre de prêts. Le montant de ceux-ci varia de 3 000 à 250 000 francs par association, à l’intérêt modique, surtout pour l’époque, de 3 p. 100 jusqu’à 25000 francs et de 5 p. 100 au-dessus. La moitié environ des sommes ainsi avancées par l’Etat, sans compter les intérêts, ont été perdues ; il ne paraît, en effet, être rentré, en intérêts et capital, que 1700000 francs. L’expérience a été refaite depuis 1870 ; le Conseil municipal de Paris prête à ces associations une somme de près de 1 million et demi à lui léguée pour cet objet par un philanthrope, M. Rampal, traducteur de Schulze-Delilzsch. Ces bienfaits paraissent avoir plutôt un effet corrupteur qu’une vertu stimulatrice ou fortifiante.

Le montant exact du legs Rampal était de 1360000 francs ; de 1883 à 1890, on prêta 497000 francs à 50 associations ; en 1891, 27 de ces sociétés avaient péri, et les sommes à elles prêtées étaient perdues ou très compromises ; 23 autres de ces sociétés