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violens, deux ou trois aussi spirituels, attirent à peine l’attention. Débarquant aux États-Unis en 1876, j’étais stupéfait du langage de la presse à l’égard du président Grant. Les mots de voleur, d’ivrogne et d’abruti étaient les termes les plus doux de ses adversaires. Cependant il n’en perdait ni l’appétit ni le sommeil et les affaires n’allaient pas sensiblement plus mal qu’avant ou après lui.

Le second remède, c’est la publicité. L’opinion est sans doute fort ignorante et difficile à saisir ; maison lui parle tout haut, devant témoins, à la face de tout un peuple. On ne peut pas, comme jadis aux princes, lui glisser à l’oreille de vilains conseils. Tout mensonge est rapidement découvert, toute basse manœuvre déjouée. Ceux mêmes qui flattent les passions populaires doivent donner une couleur généreuse à leur doctrine et prendre au moins le masque de la vertu. Les hommes réunis et parlant publiquement, n’avouent jamais qu’ils cherchent autre chose que le bien. C’est une grande force : le bien finit à la longue par s’imposer. Car l’opinion est fort sujette à se tromper, mais, dans son ensemble, elle est incorruptible. Chacun peut espérer l’instruire ou la détromper. Il n’y a plus de bastille pour murer les secrets d’État, ni de lettres de cachet pour sceller les bouches indiscrètes.

La politique extérieure elle-même, citée à la barre de l’opinion, surveillée par la presse, forcée de se défendre à la tribune, ne doit plus craindre le grand jour. Par suite, elle est devenue moins puérile : ces laborieux châteaux de cartes qui étaient le triomphe de l’ancienne diplomatie seraient emportés comme par un coup de vent ; — moins ténébreuse : impossible de creuser une mine dont la mèche ne soit rapidement éventée ; — moins inhumaine enfin : les guets-apens, les cruautés inutiles, les noires perfidies, les exécutions en masse, que couvrait jadis la raison d’État, soulèveraient aujourd’hui un long cri d’horreur, et le politique le plus endurci faiblit devant la réprobation universelle. Certes, il ne faut pas donner dans la sensiblerie, mais il faut accepter comme un fait ce besoin de justice qui travaille notre humanité : c’est une phase nouvelle dans l’éveil des peuples. Sur ce point, les erreurs mêmes du public ont quelque chose de touchant. Lorsqu’il n’est point aveuglé par la passion, une pente naturelle le pousse à protester contre les abus de la force. Peut-on lui en vouloir de souhaiter qu’il y ait un peu moins de souffrance, moins de larmes, moins de haine dans le monde et que la politique coûte moins de sang ? Ici l’instinct populaire est quelquefois supérieur à la raison. Il distingue mal la vérité d’aujourd’hui, mais beaucoup mieux celle de demain. Même en politique, on peut répéter le mot de