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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/805

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se dissipe en fumée. Le calcul le plus juste, s’il reste confiné dans les chancelleries, ne produit que des rapprochemens artificiels et manque au moment décisif. — Les deux grands mobiles d’action ne font point défaut à la nation française, car jamais le sentiment national ne s’est trouvé d’accord avec une raison d’Etat plus évidente. Les deux forces sont là : il ne nous manque qu’une main ferme pour les combiner.

Mais il y a une autre conséquence à tirer du spectacle de cette Europe dont les forces colossales se balancent et se neutralisent.

Que l’on réfléchisse à cette situation : des guerres continentales terribles, mais rares ; la vigilance nécessaire, mais la plupart du temps réduite à l’observation ; les conflits de nationalités si épineux, qu’on les abandonne le plus souvent à eux-mêmes ; l’intervention limitée aux nécessités de la défense ; les alliances dissimulant leur pointe et les gouvernemens mis au régime de la diplomatie expectante ; — d’autre part, d’immenses moyens de destruction ; des officiers impatiens de se distinguer ; un esprit public toujours sur le qui-vive ; des nations impétueuses forcées de vivre l’arme au pied, au moment même où cette arme atteint le dernier degré de la précision scientifique ; une humeur active, entreprenante, aiguillonnée par le va-et-vient des nouvelles d’un bout à l’autre de notre univers ; une Europe ardente et forte en contact quotidien avec une Afrique vierge et une Asie somnolente ; les distances supprimées, les horizons qui fuyaient jadis dans l’inconnu subitement rapprochés : qu’on ait ce tableau devant les yeux, et l’on ne doutera pas que les nations, au lieu de battre éternellement les mêmes rives, ne doivent se précipiter par la seule voie qui leur soit ouverte et déborder nécessairement sur le monde.

Alors la diplomatie des grandes puissances, transportant ses évolutions sur une scène agrandie, pourra manœuvrer à l’aise parmi les formes les plus variées de la civilisation, sans risquer à chaque instant d’allumer une de ces guerres fratricides où les nations ne pensent qu’à s’entre-détruire.