Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/845

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faisait venir devant lui le minuscule dignitaire et lui remettait un cadeau. Édouard II donne six shillings et huit pence au petit Jean, fils d’Alan Scroby, qui avait officié dans la chapelle royale en qualité de boy bishop ; une autre fois il donne dix shillings ; Richard II, plus généreux, donnait une livre.

La passion de voir, qui alors était intense, et qui devait trouver sa principale satisfaction dans le théâtre, s’exerçait de plusieurs autres manières encore au moyen âge. Les défilés étaient une de ces manières ; les occasions en étaient innombrables et on les faisait naître au besoin. Que l’association du Puy de Londres couronnât une chanson, et aussitôt un cortège était organisé dans les rues ; un mariage, un départ pour la Palestine, une fête patronale, étaient des motifs suffisans ; les sociétés revêtaient leurs livrées, tiraient leurs insignes du coffre commun, et sortaient dans la rue formées en cortège ou en procession, comprenant dans le pageant, lorsque la circonstance le permettait, toute une mascarade, de géans, de nains, de monstres, de poissons dorés et animaux divers. Lorsque l’occasion était considérable, la ville même était transformée aux regards ; tapissée de fleurs et de tentures, elle devenait comme un décor d’opéra réalisé.

La cité était ces jours-là balayée avec un soin rare ; on enlevait « jusqu’aux moindres immondices », note avec admiration Mathieu Paris en 1236. Le cortège s’avançait, cavaliers et piétons, bannières flottantes, au long des rues pavoisées, au son des cloches sonnant dans les clochers. Aux croisées des chemins, on s’arrêtait ; les gens du cortège cessaient d’être spectacle et devenaient spectateurs. Des merveilles avaient été préparées pour leur plaire : ici une forêt avec des bêtes sauvages et saint Jean-Baptiste, ailleurs des tableaux vivans représentant une scène tirée de la Bible ou de la littérature chevaleresque, le « pas de Saladin » par exemple, où l’on voyait combattre le héros de l’Islam et le héros d’Angleterre, Richard Cœur de Lion. Parfois la scène était muette et immobile, et c’était une sorte de tableau vivant ; parfois les personnages agissaient, tout en restant muets, et celaient des pantomimes. D’autres fois enfin les héros prenaient la parole et complimentaient le roi ; plus tard, et en tous cas au XVe siècle, les complimens furent dialogues : on approchait du drame de très près.

En 1236 Henri III d’Angleterre ayant épousé Aliénor de Provence fit son entrée solennelle dans sa capitale. On vit à cette occasion « tant de nobles, tant de religieux, tant de peuple, tant d’histrions que c’est à peine si la ville de Londres pouvait les contenir dans son vaste sein. Toute la ville était ornée de bannières de soie,