et ces jolis êtres, à la structure fine, au parfum discret et rare.
Elle me recevait saus interrompre sa besogne, puis elle venait
s’asseoir en face de moi dans son petit coin favori et me gardait
jusqu’à l’heure où elle allait chercher sa fille au parc Monceau
pour faire quelque course avec elle.
Plus rarement, j’allais la voir après dîner. Je m’attardais toujours à ces causeries du soir, donnant libre cours à ma pensée, sentant les idées éclore d’elles-mêmes dans cette atmosphère intime et tiède, admirant le merveilleux miroir qu’est un esprit de femme quand nulle prétention n’en altère la limpidité. Ou bien, la laissant parler, je me surprenais parfois à écouter bien plus la musique de sa voix argentine que le sens qui se dégageait de ses paroles.
Je m’étais vite fait ainsi une habitude très douce de ce contact familier avec une créature afîectueuse et simple, d’un esprit si charmant, d’un cœur si droit, et dont les pensées semblaient calmes et transparentes comme le teint de son visage.
Pourtant, après quelques semaines, vers le milieu de janvier, autant qu’il m’en souvient, je crus m’apercevoir d’un changement dans le caractère de mon amie.
C’était toujours le même charme, mais il s’y mêlait un peu de mélancolie. Elle n’avait plus cette tranquillité ingénue et souriante qui lui donnait tant de grâce à mes yeux. Quelque chose de nouveau et d’indéfinissable apparaissait au fond de son regard.
C’était si fugitif, que tout d’abord je n’y arrêtai pas mon esprit. Mais bientôt cela passa dans nos causeries. Il y avait dans ses paroles je ne sais quelle expression restée jusqu’alors étrangère à nos entretiens, des phrases inachevées, des silences, des réticences, une sorte de gêne que je ne pouvais ni préciser, ni m’expliquer. La conversation, qui toujours était si facile avec elle, languissait. Nous ne parlions plus guère que de choses insignifiantes, et nos propos étaient sans suite.
Un seul sujet semblait l’intéresser, — les questions de sentiment. Elle les recherchait maintenant avec autant de soin qu’elle les évitait auparavant. Le roman, l’article de revue, l’incident du jour, tout lui était prétexte à aborder ce terrain dont elle s’était jusqu’à ce jour si soigneusement écartée. Et parmi ces questions, une l’attirait plus que les autres, celle de l’amitié entre homme et femme. Je l’avais tant de fois entendu traiter, le fameux problème ; j’en connaissais si bien les redites, les éternels lieux communs et l’inévitable solution, que cela me contrariait de voir mon amie y