Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/878

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
872
REVUE DES DEUX MONDES.

Après quelques minutes, elle entra, parée, décolletée, dans une robe unie de satin gris argent d’une tonalité exquise ; un mince collier de zibeline s’ajustait à son cou, et quelques violettes détachées apparaissaient dans l’échancrure du corsage.

À deux pas de moi, elle s’arrêta, le buste en avant, dans une contenance un peu embarrassée, les épaules rougissantes. Elle me regardait d’un air indécis qui se transforma en un radieux sourire, aussitôt qu’elle vit dans mes yeux l’approbation de sa toilette et l’admiration de sa beauté.

Au bout de dix minutes, comme je me levais pour prendre congé d’elle : « Non, restez, me dit-elle ; nous sommes si bien ici ; restez encore un instant. » Et elle se remit à causer avec une vivacité, un enjouement, une ivresse légère que je ne lui avais jamais vus.

Il était plus de onze heures quand je lui dis adieu à la portière de sa voiture.

Rentré chez moi, je voulus achever une lettre d’affaires commencée ; mais, sitôt la plume en main, mes idées et mes calculs s’embrouillèrent. Je m’assis alors au coin du feu et pris un livre ; mais je le rejetai sur la table à la seconde page. Ma pensée était ailleurs : elle me ramenait rue Rembrandt, à l’heure précédente.

Je revoyais Mme d’Égly dans cette robe aux tons doux et soyeux qui la dessinait si élégamment ; je me rappelais encore son heureux sourire et cette apparition dernière, en elle, d’un être qui ne s’était pas encore révélé. Puis d’autres détails me revenaient à l’esprit, son insistance à me voir ce soir-là, mon attente dans le salon, l’éclairage inusité de la pièce, sa démarche et son attitude en entrant. Et j’admirais avec quelle perfection les femmes, même les plus naïves, entendent l’art de la mise en scène.

Je remuai quelque temps ces pensées maussades et ne pus me résoudre à me mettre au lit que lorsque je fus à peu près certain que Mme d’Égly était rentrée au logis.

Le lendemain matin, je recevais d’elle un mot simple et affectueux, avouant de la façon la plus naturelle que sa rentrée ou plutôt ses nouveaux débuts dans le monde l’avaient amusée, et me fixant un très prochain rendez-vous. Au billet était joint, enveloppé dans du papier de soie, le petit bouquet de violettes que j’avais aperçu la veille à l’échancrure de sa gorge.

Le même jour, un télégramme m’appelait à Pau, auprès de mon père dont l’état s’était subitement aggravé. Je partis aussitôt, j’arrivai trop tard.

Quand je revins à Paris, trois semaines après. Mme d’Égly eut, pour m’accueillir, de ces mots dont son cœur avait le secret et qui me touchèrent aux larmes.