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destinée à transformer complètement et même à éliminer graduellement le salariat lui-même, en donnant aux travailleurs la propriété des instrumens de production, et à supprimer les intermédiaires, y compris l’entrepreneur. Elle ne vise pas à supprimer le capital, mais simplement à supprimer son droit sur les profits ou dividendes, en le réduisant à la portion congrue, l’intérêt. Elle s’efforce surtout de donner à la coopération un idéal et de soulever les âmes en leur montrant un but qui vaille du moins la peine d’être conquis[1]. »

Ainsi la subalternisation du capital, son exclusion des profits de l’entreprise, le salariat du capital, tel est l’idéal poursuivi.

Pour y parvenir, il faut que, dans la société coopérative pure, parfaite, les profits soient répartis entre les ouvriers, non pas en tant que capitalistes, mais en tant qu’ouvriers. Aussi doit-on limiter le nombre d’actions que chacun peut posséder. « Il est de règle dans toutes les sociétés coopératives de consommation, dit M. Gide, que chacun, riche ou pauvre, ne peut posséder que le même nombre d’actions, une seule le plus souvent, quatre ou cinq peut-être, que du reste, quel que soit le nombre des actions possédées par un membre, il n’a qu’une seule voix dans les délibérations, et que, par conséquent, il n’est pas au pouvoir d’un quelconque des associés, si riche soit-il, d’accaparer le fonds social[2]. » L’auteur cité ne parle ici que des sociétés de consommation, mais d’autres font la même remarque pour les sociétés coopératives de crédit : M. Henri Wolff, par exemple, dans son ouvrage sur les Banques populaires et M. Rostand dans ses nombreux travaux. Tous craignent que les sociétés coopératives ne se transforment à la longue en sociétés anonymes pures et simples, ce qui semble être, en effet, leur destinée finale quand elles réussissent. Tous déclarent que dans ces sociétés « il faut se garder de l’excès de gains », des gros dividendes. M. Amos Warner attribue l’échec de la coopération dans l’ouest des États-Unis à ce que les possesseurs de nombreuses actions ont fini par avoir toute la direction des associations coopératives, en évinçant les petits actionnaires[3].

Les doctrinaires récens de la coopération, bien différens des premiers expérimentateurs pratiques du système, voient dans cette organisation une sorte de vertu mystique qui doit absolument transformer le monde social. M. Henri Wolff compare la découverte

  1. Revue d’Économie politique, janvier 1893, p. 17.
  2. De la Coopération et des transformations quelle est appelée à réaliser, p. 16.
  3. Voir Wolff, People’s Banks, 1893, pp. 95 à 107, et Warner, Three Phases of Co-operation in the West, p. 42.