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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/913

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Durant toute cette journée du 24 août, la ville avait été remplie de tumulte, de désarroi et d’épouvante. Les miliciens, fuyards de Bladensburg, se traînaient par les avenues, aveuglés de poussière, écrasés de chaleur. Les femmes, les enfans, une longue file de voitures et de charrettes, se pressaient sur le pont de bois par où l’on pouvait gagner la Virginie. Le soir tombant, l’ordre fut donné aux troupes, pour la septième fois dans la journée, de faire retraite ; les hauteurs de Georgetown étaient assignées comme point de ralliement. Certains refusaient d’obéir, voulant combattre encore, essayer de défendre la ville ; puis, las de tout, n’étant plus commandés, ils suivaient leurs camarades. Les bandes se déroulaient, désordonnées, lamentables, le long de l’avenue de Pennsylvanie, passaient devant la Maison-Blanche, puis montaient vers Georgetown, et s’échelonnaient sur le plateau jusqu’à Tenallytown, s’arrêtant au point où l’obscurité les surprenait. Et tout à coup, dans la nuit, tandis que ces débris d’armée s’affalaient sur le sol, le ciel s’éclaira du côté de l’est, et l’horizon devint rouge des flammes qui s’élevaient des monumens de Washington.

Vers huit heures du soir les premiers habits rouges furent aperçus sur la colline du Capitole. Du côté de l’Arsenal on entendait l’éclatement des bombes, Cockburn donna l’ordre d’abord de mettre le feu au palais du Congrès[1] : des lueurs fantastiques s’élevèrent, éclairant les avenues, le long desquelles s’avancèrent les soldats anglais, lentement, s’étonnant de trouver la ville toute vide. Il n’y restait que des vagabonds épiant l’heure du pillage, et des esclaves, grands enfans qu’émerveillait l’étrangeté du spectacle.

Lorsque les Anglais arrivèrent devant l’Executive Mansion, furieux, dit-on, de n’avoir pu capturer le président et sa femme qu’ils auraient voulu « montrer » à Londres (n’est-ce pas un trait bien britannique ? ), ils briseront les portes et se livrèrent à un pillage en règle, des caves au grenier, trouvant pour tout trophée les notes au crayon adressées par M. Madison à sa femme dans les deux dernières journées[2].

  1. On raconta trois semaines plus tard aux membres du Congrès, à leur retour aux ruines du Capitole, que l’amiral Cockburn, s’installant sur le fauteuil du speaker dans la Chambre des représentans, avait mis facétieusement aux voix cette question : « Brûlerons-nous le sanctuaire de la démocratie yankee ? » La résolution ayant été adoptée à l’unanimité, on entassa des matières combustibles sous le fauteuil, et tout flamba. C’est une des nombreuses légendes qu’inspira l’exploit nocturne des Anglais.
  2. La maison contenait toutefois des meubles, des provisions, une bibliothèque précieuse ; tout fut incendié, et M. Madison subit de cet acte de sauvagerie une perte de 12 000 dollars.