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d’Espagne. La foule, fort heureusement, ne leur chercha point noise : elle se contentait de les considérer comme des bêtes curieuses. On leur offrit des fêtes, un peu partout ; la plus belle fut celle que leur offrit leur cousine, la marquise de Montesson, qui, ayant été jadis la femme morganatique de Philippe-Égalité, se piquait depuis lors d’appartenir à la famille des Bourbons.

Et quand on les eut bien vus, Napoléon les congédia. Il ne paraît pas d’ailleurs les avoir jamais trouvés très intéressans. Du roi de Toscane il disait à Bourrienne : « J’en suis fatigué, c’est un véritable automate. Je lui ai fait une foule de questions, il n’a pu répondre à aucune. » Quant à la reine, il lui reconnaissait plus d’esprit ; mais la malheureuse femme n’avait rien pour lui plaire. Elle ne prenait aucun soin ni de sa taille, qui n’avait jamais été très fine, ni de son teint, ni de ses dents, ni de ses cheveux, qu’elle avait pourtant d’un noir magnifique ; elle s’habillait uniformément de lourdes robes de velours trop dorées ; et sa frayeur était si grande qu’elle avait peine à sourire. « Pour une reine de race ancienne, écrit Mme du Cayla, elle est bien mal habillée et n’a certes pas bonne façon : nos femmes de chambre sont mieux qu’elle. » Il faut ajouter que la pauvre reine était souffrante ; elle avait pris la fièvre, en voyage, et jusqu’à son arrivée en Toscane elle ne put dormir une seule nuit.

Elle fut enchantée de quitter Paris. Le 12 juillet, le couple royal entra à Turin, où l’attendait en grande cérémonie l’archevêque de Florence. On repartit le 14 pour Parme ; enfin le 12 août on arriva à Florence. « Nous y entrâmes assez effrayés, raconte Marie-Louise ; nous craignions que le peuple, en nous voyant entourés de troupes françaises, ne nous fit un mauvais parti. »

L’hiver de 1801 fut pour elle plein de tristesse. Le palais Pitti, où elle demeurait, était presque vide. Il fallut s’adresser aux patriciens de Florence pour avoir des meubles, de la vaisselle, des chandeliers. La santé du roi déclinait de jour en jour ; aux attaques d’épilepsie était venue se joindre une inflammation des poumons, et son caractère, d’ordinaire très doux, commençait à s’aigrir. L’ambassadeur de la République d’Italie à Florence, Estense Tassoni, écrivait de lui : « Le roi a des lumières, un cœur excellent, un grand désir de bien faire ; mais son fâcheux état de santé rend vaines toutes ces qualités. Ses attaques d’épilepsie l’abrutissent et lui font perdre la mémoire… Il a des crises de fureur où personne ne peut l’approcher. » Le 2 juin 1802, se sentant perdu, il décréta que sa femme « serait désormais admise au conseil, avec voix délibérative pour toutes les affaires du royaume ».

Ici, un nouvel épisode lamentable et comique. À la fin d’août 1820, ce pauvre roi à moitié mort et sa femme, enceinte de huit mois, reçoivent l’ordre de se rendre aussitôt en Espagne, pour assister au