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souhaite bon voyage, et lui exprime son désir que Parme lui plaise. Elle s’en va un peu consolée. Mais à Lyon un commissaire de police lui annonce qu’il a reçu l’ordre de la conduire non pas à Parme, mais à Nice, et il l’y mène à marches forcées.

Ses peines ne sont pas près de finir. À Nice, on lui retient sa pension, on la traite comme une prisonnière. Un brave commerçant de Livourne, Gaspard Chifenti, ému de pitié, tente de remmener en Angleterre : ses projets sont découverts, par une imprudence de la reine ; Chifenti est arrêté avec ses complices, jugé, condamné à mort, fusillé. Marie-Louise reçoit l’ordre de s’enfermer pour le reste de ses jours dans un couvent. On lui enlève son fils, on la conduit à Rome escortée de gendarmes, on l’enferme au couvent de Saint-Sixte, sans autre compagnie qu’une dame de sa suite.

« J’étais dans ce lieu depuis onze mois, écrit-elle dans ses Mémoires, lorsque le 16 juillet 1812 mes parens et mon fils arrivèrent à Rome. J’espérais que leur arrivée serait aussitôt suivie de ma mise en liberté ; bien loin de là, on donna, en ce qui me concernait, des ordres plus rigoureux encore. » Une seule fois par mois le général Miollis lui amenait sa famille : on se voyait un quart d’heure, la mère avait le droit d’embrasser son fils ; et puis de nouveau on la laissait seule. Elle tomba malade : la prieure du couvent, les médecins, les notables de la ville implorèrent sa grâce : Napoléon s’obstina à la laisser en prison. Et il ne fallut pas moins que l’entrée de Murat à Rome, le 14 janvier 1814, pour lui rendre la liberté.

La liberté ne lui suffisait pas. De même que son premier mari ne l’avait point dégoûtée du mariage, le souvenir de son malheureux règne n’avait pu lui enlever son désir d’être reine. Elle voulait un trône, elle le demandait, avec une insistance infatigable, aux vainqueurs de Napoléon. Déjà pendant son séjour à Nice elle suppliait le gouvernement anglais de la nommer reine quelque part, « soit en Europe, ou aux Indes, ou en Amérique ». À défaut de l’Étrurie, à défaut de Parme, donnée à Marie-Louise d’Autriche, elle obtint enfin la petite principauté de Lucques, telle que l’avait créée Napoléon pour sa sœur Élisa. On lui promit en outre que Parme serait restituée à sa famille, après la mort de Marie-Louise.

Elle régna à Lucques jusqu’à sa mort, en 1824. Les traités qui la nommaient souveraine lui avaient en même temps imposé l’obligation de maintenir à Lucques le régime constitutionnel : elle dut s’y résigner, bien que ce régime ne fût guère de son goût. Du moins elle se donna pour occupation constante, pendant son règne, d’effacer à Lucques jusqu’à la moindre trace dus institutions de Napoléon. Ses malheurs l’avaient d’ailleurs rendue un peu capricieuse et intolérante, en telle sorte que sa mort ne laissa point de regrets. Lorsqu’elle mourut, son