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nous, nous n’avions qu’à tracer, de concert avec les Anglais, le périmètre du futur tampon. C’est ce que l’on a cherché à faire depuis quatre mois, avec un désir sincère de part et d’autre d’arriver à une entente, mais avec une absence de données géographiques telle que, de part et d’autre aussi, on a fini par reconnaître que l’on ne savait pas bien sur quoi l’on discutait, et l’on s’est décidé à faire dresser une carte de la haute vallée du Mékong. Nos droits par conséquent demeurent intacts.

Il en est de même en Afrique où, du nord au sud et de l’est à l’ouest, la plupart des puissances européennes sont en rivalité et en litige : le Congo français avec le Congo belge, le Congo belge avec l’Angleterre, l’Angleterre avec le Portugal, à Mozambique, et la France avec l’Allemagne, dans l’hinterland du Cameroun. Pour aplanir ce dernier différend, notre gouvernement a envoyé à Berlin deux délégués, le vaillant explorateur Monteil et M. Haussmann, fonctionnaire de l’administration des colonies. Nos compatriotes, dont la mission n’a pas de caractère diplomatique, et qui sont simplement chargés de faire, avec les délégués de l’Allemagne, une étude amiable de la question, sont, nous en sommes sûrs, porteurs des instructions les plus conciliantes, d’abord parce que nous n’avons aucune prétention de nous opposer à l’extension légitime des Allemands à l’intérieur de l’Afrique, quoique nous les y ayons devancés avec un bonheur qu’ils ont eux-mêmes reconnu, ensuite parce que l’on doit songer, à Paris autant qu’à Berlin, à se prémunir dans cette contrée contre les agissemens intraitables de la Compagnie anglaise du Niger, dont le marchand allemand Hœnigsberg n’a pas eu moins à se plaindre que le lieutenant français Mizon.

Le gouvernement anglais agit avec la Royal Niger Company comme la légende raconte que M. Dupin, président de la Chambre des députés, procédait naguère avec Berryer, lorsque le grand orateur malmenait les ministres à la tribune ; le rappelant à haute voix, sur un ton sévère, au respect des pouvoirs établis, et lui soufflant en même temps, à voix basse : « Continue, tu n’as jamais été plus en verve ! » Il peut donc arriver dans l’avenir, et l’Allemagne le comprend comme nous, bien qu’elle vienne de signer, sans nous, avec l’Angleterre, un traité particulier sur la valeur duquel elle ne s’illusionne pas ; il peut arriver qu’Allemands et Français aient à exercer une action commune contre une compagnie trop avide, pour qui la mère patrie réserve des trésors d’indulgence.

Tandis que la France défend ainsi pacifiquement l’œuvre accomplie par M. Maistre, au sud du lac Tchad, dans la région du Chari, elle transforme, ou du moins elle essaie de transformer, en un gouvernement civil l’organisation militaire du Soudan, à laquelle ont glorieusement présidé jusqu’ici les colonels Combes et Archinard. Le régime militaire avait cet inconvénient d’absorber chaque année des millions,