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au nom du parlement. J’ai essayé d’y appliquer la loi ; je l’ai fait, je crois, honnêtement et sans faiblesse. J’ai réussi à rétablir l’ordre matériel, mais je n’ai rien fondé, rien créé, rien laissé derrière moi ; je n’ai pas contenté le peuple irlandais. Puisque nous avons essayé de tout et n’avons jamais pu gouverner l’Irlande, pourquoi ne laisserions-nous pas l’Irlande se gouverner elle-même ? »

Le duc de Devonshire est venu ensuite demander à la Chambre des lords de repousser la loi par les raisons que voici. « La Chambre des pairs n’est pas issue du suffrage populaire ; elle ne représente pas le principe démocratique qui triomphe partout et devant lequel il convient de s’incliner. Son rôle n’est pas de défendre les intérêts d’une classe contre la volonté de tous, ni de soulever une question de privilège contre une question de justice, mais de faire respecter la constitution du pays. Or, en ce moment, l’unité nationale est menacée. La Chambre des lords, en défendant cette unité, se mettra-t-elle en lutte avec le vœu populaire ? Non, car les élections de 1892 ne se sont pas faites sur la question du home rule. Parmi les masses électorales qui ont envoyé à Westminster la faible majorité de M. Gladstone, combien ont cru voter pour le Désétablissement de l’Eglise galloise ? combien pour la loi de tempérance ? combien pour l’organisation du travail et le bill des huit heures ? combien pour l’unification administrative de la capitale ? combien, enfin, pour ce vaste et décevant programme de Newcastle qui promettait tant de choses, y compris la réforme de la Chambre des lords ? Et comment le pays se serait-il prononcé en faveur d’un projet inconnu, dont M. Gladstone gardait le secret sous ce prétexte que, suivant le mot de Robert Peel, les médecins ne rédigent pas leur ordonnance avant d’avoir été appelés au chevet des malades ? Si on interrogeait le pays sur cette grande question en mettant de côté les questions secondaires, les mouvemens locaux et les influences personnelles, si on lui demandait : « Voulez-vous, oui ou non, donner l’autonomie à l’Irlande ? » la très grande majorité ferait une réponse négative. C’est à la Chambre des lords qu’il appartient de préparer les moyens par lesquels cette majorité fera enfin connaître sa volonté. »

On croit voir poindre là-dessous quelque chose qui ressemble à une pensée plébiscitaire et, en effet, si, pour la première fois dans sa longue destinée historique, l’Angleterre a regretté de ne pas posséder quelque forme de referendum, quelque moyen d’appel direct aux désirs de la nation, c’est assurément à ce moment aigu de la crise irlandaise où nous arrivons. Mais une telle idée ne peut qu’effleurer l’esprit des Anglais, elle n’y pénètre pas, elle ne trouverait point de lieu pour s’y implanter. Cette consultation nationale