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et M. de Talleyrand répondit en ce sens au maréchal[1]. On redoubla donc des deux côtés de belles paroles et de témoignages affectueux : l’empereur envoya son portrait en pied à M. de Villaverde, premier ministre portugais, et le prince régent offrit le sien, en miniature, à M. de Talleyrand sur une tabatière enrichie de brillans ; il y joignit même, ce qui semblerait bien étrange aujourd’hui, « un solitaire dans une bague »[2]. Enfin, pour donner au Portugal une preuve particulièrement sensible de ses bonnes dispositions et l’engager par la reconnaissance, le gouvernement impérial, en septembre 1804, prorogea de cinq mois le délai fixé pour l’acquittement du subside de seize millions. Ainsi la situation se présentait sous les meilleures apparences, et le maréchal Lannes, partant en congé, se regardait comme autorisé à écrire à Paris qu’il s’éloignait tranquille sur le maintien de l’état des choses.

Il se trompait cependant ; sous ces dehors pacifiques, une cause incessante de querelles subsistait entre les deux cabinets : ils n’interprétaient pas de même la clause de neutralité. cette question contenait en germe les plus graves événemens. Le Portugal, définissant la neutralité dans le sens le plus large, se croyait ou affectait de se croire en droit de donner, comme par le passé, toutes les facilités de séjour et de ravitaillement à la marine an glaise : le gouvernement impérial, au contraire, n’entendait pas que les escadres ou les corsaires britanniques pussent trouver aucun secours sur les côtes du Portugal. Le prince régent voulait louvoyer entre les deux adversaires ; l’empereur prétendait s’acheminer peu à peu à une véritable clôture des ports. L’un et l’autre évitèrent toutefois pendant quelque temps d’accentuer leurs dissidences ; le cabinet des Tuileries se borna à des réclamations de détail, présentées sous une forme mesurée ; la cour de Lisbonne donna à ses autorités maritimes des ordres stricts pour complaire à la France ; mais, d’une part, ces ordres ne furent pas exécutés par ses agens qui savaient répondre à ses vues secrètes par leur mollesse ou leurs inadvertances calculées ; de l’autre, l’empereur tenait note de tous ses griefs et n’attendait qu’une occasion pour imposer sa volonté.

Elle lui fut bientôt offerte : le cabinet britannique, considérant l’Espagne, alliée de la France, comme implicitement engagée dans la guerre, agit contre elle sans déclaration préalable d’hostilités ; une de ses escadres attaqua et détruisit, en octobre 1804,

  1. Arch. des Affaires étrangères. Dépêches du maréchal Lannes (27 prairial an XII) et de M. de Talleyrand (21 messidor).
  2. Ibid., M. d’Araujo à M. de Talleyrand, 20 messidor.