Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus d’attention et de soins que de rude labeur, et les « petits blancs » s’en acquittent à merveille. Il en est de même pour la cueillette, qui se fait à la main, par un temps sec et avec de grandes précautions, en vue de conserver les feuilles intactes et sans déchirures ; mêmes précautions pour la dessiccation dans le séchoir, pour la confection des manojas, ou ballots, qu’achètent les fabricans de cigares, et dont les prix varient entre 20 et 400 piastres par 100 kilogrammes, selon la qualité, la dimension et la netteté des feuilles qui les composent. Quand on a choisi les manojas qui vont servir à fabriquer les cigares, on en déplie les feuilles une à une et on les plonge dans un tonneau contenant unit solution de salpêtre. Lorsqu’elles y ont séjourné le temps nécessaire pour être suffisamment humectées et assouplies, on les met égoutter et sécher. Puis on procède à l’opération dite disbabillar, qui consiste à les développer avec soin pour ne pas les déchirer.

Elles passent alors entre les mains des torcedores, le plus souvent nègres ou mulâtres, parfois même Chinois, artistes habiles du savoir-faire et de l’expérience desquels dépend le renom de la fabrique et dont le salaire est en proportion de leurs mérites. Armé d’un couteau très aiguisé avec le dos duquel il étale la feuille, le torcedor tranche les parties extérieures et les rebords inférieurs, les roule en spirale ou tripa, découpe l’enveloppe et d’un tour de main confectionne les cigares dont la qualité, la forme, la longueur ; et le poids sont identiquement les mêmes. La Havane est le centre de cette industrie, qui se chiffre parmi total de plus de 200 millions de cigares exportés chaque année, non compris 180 000 à 200 000 balles de tabac en feuilles, et déduction faite de la consommation locale.

Cette dernière représente un chiffre considérable. On fume partout à Cuba, et à La Havane seule, on évalue à 25 millions de francs par année la consommation du tabac. Hommes, femmes et enfans, maîtres et serviteurs, blancs, nègres, métis en font usage ; les gamins ont tous le cigare aux lèvres, les nourrices fument en allaitant leurs nourrissons, les femmes abusent de la cigarette, et les hommes en usent partout ; à table entre deux plats, dans les salons, les cours de justice, au théâtre, au bal, aux funérailles, au lit même, partout et toujours le Havanais fume. Aussi le commerce du tabac a-t-il pris des développemens extraordinaires ; les débits pullulent. A côté des fabriques de cigares, dont les plus connues sont celles de Moralès, d’Upmann, de Partagas, de Cabañas y Carvajal, de la Legitimidad, se sont élevées des manufactures de cigarettes, dont quelques-unes très importantes. Celle de la Honradex produit, en moyenne, de 3 à 4 millions de cigarettes par jour. Deux machines perfectionnées en fabriquent jusqu’à 100 000 par heure, soit