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tenir prêt à donner, qu’on ne fait rien pour rien, que toutes les affaires de ce monde sont des marchés.

On s’est étonné que jusqu’à la fin il ait vécu en paix avec son vicaire général, frère Élie, et avec le cardinal Hugolin, qui l’un et l’autre travaillaient sourdement a mitiger la règle. La paix était pour lui le premier des biens ; mais s’il fut indulgent aux personnes, jamais il ne transigea sur les principes. Il faut accorder à son dernier biographe que son testament eut le caractère d’une protestation.

Il y déclare fièrement « que personne ne lui a montré ce qu’il avait à faire, que c’est le Très-Haut lui-même qui lui a révélé comment il faut s’y prendre pour se conformer au saint Évangile. » Il y déclare aussi, une fois de plus, que les frères doivent vivre uniquement du travail de leurs mains et, dans leurs nécessités, demander l’aumône de porte en porte. « Je leur interdis par obéissance, dit-il encore, en quelque endroit qu’ils se trouvent, de solliciter aucune bulle en cour de Rome. » Et il ajoute : « J’interdis à tous les frères, clercs ou laïques, d’introduire des gloses dans la règle ou dans ce testament, sous prétexte de l’expliquer. » Quatre ans après sa mort, le 28 septembre 1230, Hugolin, devenu Grégoire IX, interprétait solennellement la règle et dispensait les frères d’observer le testament. « Ainsi soutenus par la papauté, dit M. Sabatier, les frères de la commune observance firent durement expier aux zelanti leur attachement aux dernières volontés de François. Césaire de Spire mourut des violences du frère préposé à sa garde ; le premier disciple, Bernard de Quintavalle, traqué comme une bête fauve, passa deux ans dans les forêts de Monte-Safro, caché par un bûcheron ; les autres premiers compagnons qui ne parvinrent pas à s’enfuir eurent à subir les plus durs traitemens : le testament fut confisqué et détruit, on alla jusqu’à le brûler sur la tête d’un frère qui s’obstinait à vouloir l’observer. »

François d’Assise fut le plus sincère des hommes, et il a donné au monde un grand spectacle en poussant l’esprit de conséquence jusqu’à l’héroïsme. On ne saurait lire une page quelconque de son histoire sans se dégoûter à jamais des faux mystiques, qui prêchent et ne pratiquent pas, qui comptent avec le monde et s’arrangent avec leur conscience, qui voient tout en Dieu sans jamais se perdre de vue, eux, leurs intérêts et leurs affaires. À l’âge de vingt-sept ans, après une jeunesse donnée aux plaisirs, il avait entendu un célébrant réciter ces paroles du Christ à ses disciples : « N’ayez ni or ni argent, ni monnaie dans votre bourse, ni sac pour le voyage, ni deux habits, ni souliers, ni bâton. » — « Voilà ce que je cherchais depuis longtemps ! » s’écria-t-il dans un transport de joie, et à peine sorti de l’église, il jeta loin de lui avec horreur son bâton, ses souliers et sa bourse. Tel il avait été à ses débuts, tel il demeura jusqu’à son dernier soupir. D’autres saints