Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
REVUE DES DEUX MONDES.

brigandage, qui a toujours été endémique en ces contrées. Le pays de Damas en était infesté. Auguste donna à Hérode l’investiture de ces provinces. Son domaine s’étendit ainsi jusqu’aux montagnes du Hauran. Il existe encore, près de Canatha, un bel édifice, — un Augusteum peut-être, — probablement construit par lui, et la base d’une statue qui lui fut érigée par un Arabe du pays. Le pays était à cette époque fort sauvage. La civilisation n’y avait pas pénétré. Hérode commença l’œuvre qui en fit, dans les premiers siècles de notre ère, une région extrêmement riche. L’ordre fut du même coup rétabli à Damas, Hérode obtint à cette époque, pour son frère Phérore, la tétrarchie de la Pérée. Il fut ainsi, dans la Syrie du sud, le grand agent de la paix romaine, le mainteneur de l’ordre contre les nomades et les brigands.

Quoique le titre de roi des Juifs fût territorial et n’impliquât pas une juridiction sur les Juifs de la diaspora, Hérode exerçait à l’égard de ces derniers une sorte de protectorat, leur servant de défenseur ou leur fournissant des avocats devant les Romains. Sa famille, au Ier siècle de notre ère, jouera ce rôle d’une manière encore plus caractérisée.

Le règne d’Hérode fut, comme on voit, un très beau règne profane. Le progrès était immense. Si Israël avait été susceptible d’être tenté par la gloire mondaine, il eût salué son maître dans ce roi, circoncis après tout, qui lui donnait toutes les prospérités. Mais il était voué à l’idéal religieux. Il ne fit que se cabrer. Ces grandes choses, il faut bien le dire, n’avaient rien de national ; ce n’était pas la nation qui les faisait : elles passaient par-dessus la tête d’Israël sans le toucher. Au vrai Juif, les travaux d’Hérode paraissaient des œuvres sans but ou des œuvres de pur égoïste qui s’imagine qu’il vivra toujours. Dans les gouvernemens qui coûtent cher, le peuple voit l’impôt qu’il paie et non le résultat atteint par l’impôt. Derrière tant de belles créations, le Juif s’obstinait à ne voir que les charges du peuple. « Malheur, dit le livre d’Hénoch, à qui bâtit sa maison avec la sueur de ses frères ! Toutes les pierres de ces constructions profanes sont autant de péchés. »

Les plaintes de ces piétistes chagrins étaient sévèrement réprimées. Une police impitoyable faisait taire les murmures ; les rassemblemens étaient interdits ; de nombreux espions rapportaient au roi tout ce qui se passait. Deux ou trois conspirations, provoquées par les scandales des jeux scéniques, par le paganisme des monumens publics, ou par la formalité, nouvellement introduite, du serment politique, furent étouffées dans le sang. Le courage des victimes fut admirable ; un parti de sicaires, mettant leurs poignards au service de la Loi, se forma ; la soif des supplices devint ar-