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aussi périlleuses ? N’était-il pas aisé de voir que Murat, qu’on était si pressé de renverser, n’avait point de racine à Naples, que son royaume, un peu plus tôt, un peu plus tard, sentirait la nécessité de se rejoindre à la Sicile ; qu’il rappellerait ses anciens maîtres, restés particulièrement, chers au peuple.

Si M. de Talleyrand s’est trompé sur le but à atteindre, il n’a point erré sur les moyens qu’il a employés pour arriver à celui qu’il avait choisi. Sa persévérance, son adresse, je dirai même son audace, se sont soutenues à un degré fort remarquable pendant tout le temps qu’a duré le conflit. Rien n’annonçait encore dans le cours du mois de novembre qu’aucune des quatre grandes puissances fût en disposition de reculer d’une manière tant soit peu sensible sur aucune de ses prétentions. L’empereur de Russie, le premier, fit dans le commencement de décembre une démarche conciliatrice et annonça, conjointement avec la Prusse, dans une note adressée à M. de Metternich, que, si la Saxe en entier était cédée à la Prusse, et si la ville de Mayence était déclarée forteresse de la Confédération germanique, c’est-à-dire n’appartenant pas à l’Autriche, il renoncerait à la possession de Cracovie et de Thorn, consentant à ce que ces villes formassent, avec les territoires qu’on leur assignerait, des républiques indépendantes et essentiellement neutres.

Le prince de Metternich répondit le 10 à cette note. Il désapprouva l’idée de faire de Cracovie et de Thorn des villes indépendantes, qui ne manqueraient pas d’offrir à tous les mécontens de la Pologne des foyers constamment ouverts de troubles et de complots. Il demanda qu’elles fussent soumises à la Prusse et à l’Autriche ; puis il exprima le désir qu’on pût obtenir, pour la Prusse, la ligne de la Wartha, et, pour l’Autriche, celle de la Néva. Il n’insistait pas sur ces lignes comme étant une condition sine qua non. Il exprimait la pensée que tout ce que la Prusse pourrait obtenir de plus en Pologne serait une véritable amélioration dans la situation générale. Quant à la Saxe, il ne repoussait pas son incorporation entière à la Prusse à cause de l’accroissement qu’elle donnerait à cette puissance, mais 1° parce qu’elle renfermait un obstacle à l’union si désirable de l’Autriche avec la Prusse ; 2° parce que les principes de l’empereur son maître, les liens de famille les plus étroits, tous les rapports de voisinage et de frontière entre la Saxe et l’Autriche s’y opposaient ; 3° parce que, la France s’étant prononcée contre cette réunion, ainsi que tous les princes d’Allemagne, il s’ensuivait que l’accord de l’Autriche et de la Prusse, pour l’effectuer et la soutenir, tendrait à rendre à la France le protectorat de l’Allemagne qu’on venait de lui arracher.