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LE
SOCIALISME ET LA LIBERTE

La liberté, croyons-nous, est l’essence même du progrès. Un certain nombre de socialistes professent ouvertement l’opinion contraire. Saint-Simon proscrit la liberté, qui n’est, à l’entendre, qu’un élément de destruction propre aux « époques critiques », mais ne saurait être un principe de vie dans les « époques organiques[1] ». On pourrait même se demander, écrit Dupont-White, qu’on peut classer parmi les socialistes inconsciens, si Progrès et Liberté sont choses compatibles en elles-mêmes[2]. A vrai dire, tous les pontifes de la secte ne tiennent pas le même langage. Si M. Domela Nieuweuhuis, chef des socialistes hollandais, proclame sans détour que « la question sociale ne trouve point sa solution dans les parlemens, mais dans la rue », l’ancien officier allemand von Vollmar, que les jeunes qualifient, il est vrai, de « socialiste rassasié », préconise, au moins pour un temps, le parlementarisme, et Liebknecht, Liebknecht lui-même a lancé ce prudent aphorisme : « Parlementaire dans les moyens qu’il emploie, le parti est révolutionnaire quant aux buts qu’il poursuit. » Au demeurant, ce parti demande généralement, sans se soucier de l’énorme contradiction dans laquelle il tombe, une liberté politique sans frein, une servitude économique sans limites. Le programme d’Erfurt (octobre 1891) réclame non seulement le suffrage universel égal, direct, et le scrutin secret, pour tous les membres de l’empire âgés

  1. Comme celle dans laquelle il est temps d’entrer, poursuit-il, après la période critique, ouverte depuis que la réformation de Luther a détruit le moyen âge, époque organique.
  2. L’Individu et l’État, p. 256. Voir le même ouvrage, p. 280.