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L’arrivée du duc de Wellington, le 1er février, quelques jours avant la conclusion des affaires de la Saxe, l’aida puissamment. Le duc avait traversé la France, il avait vu le roi, qui l’avait accueilli avec une distinction dont son amour-propre avait été très flatté. Il avait été facile à M. de Talleyrand de le circonvenir et de le faire entrer dans ses vues. Le duc fit un tableau fort brillant de la situation de la France, dit que le roi était très aimé, très respecté, et se conduisait avec une sagesse parfaite ; il fit quelques réserves relativement à l’armée au point de vue politique. Les paroles du duc de Wellington contribuèrent beaucoup à donner du poids à celles de M. de Talleyrand.

Le duc de Wellington était d’autant plus disposé à agir de concert avec le représentant de la France dans l’affaire de Naples, qu’un des ministres du roi (M. de Blacas, si je ne me trompe) lui avait, lors de son passage à Paris, communiqué une lettre de Murat, interceptée dans le trajet de Naples à l’île d’Elbe. Cette lettre prouvait, en dépit de ses traités avec l’Autriche, l’intelligence qui subsistait toujours entre lui et Napoléon.

C’était une grande fortune pour M. de Talleyrand que cette découverte si propre à agir sur l’esprit du duc de Wellington, au moment où il venait remplacer au congrès lord Castlereagh, obligé de retourner à Londres pour l’ouverture du Parlement. Celui-ci enfin partait le 15 février, avec un très vif désir de voir expulser Murat et avec la résolution de ne rien négliger pour déterminer le cabinet britannique à y donner les mains. Toutefois cette expulsion ne pouvait encore être tenue pour assurée ; il faudrait, non sans peine, obtenir le consentement de l’Autriche, liée par des engagemens formels vis-à-vis de Murat[1], et qui n’était nullement désireuse de voir la maison de Bourbon recouvrer en

  1. Ces engagemens ne furent bien connus que lorsque M. de Talleyrand parvint à se procurer à Vienne, avec la copie du traité passé à Naples entre l’empereur d’Autriche et Murat, le 11 janvier 1814. celle des articles secrets et additionnels en date du même jour, et même d’un article additionnel qui avait été signé par le prince de Metternich lui-même, à Chaumont, le 3 mars 1814. La fière Autriche ne pouvait certainement descendre à plus de complaisance pour acheter le secours d’un soldat couronné. Non seulement elle reconnaissait et garantissait tous ses droits sur ce qu’il possédait, mais elle admettait qu’il en pût prétendre sur la Sicile, puisqu’elle acceptait sa renonciation à ceux-là. Elle lui assurait de plus, lors des arrangemens de la paix définitive, l’acquisition d’un territoire contenant quatre cent mille âmes et qui devait être pris sur l’Etat romain. Enfin elle se résignait même aux condescendances de détail, car elle lui garantissait les biens farnésiens à Rome et les biens allodiaux qu’il possédait actuellement dans le royaume de Naples. C’était l’objet de l’article additionnel de Chaumont. Faut-il dire encore qu’outre les grands intérêts politiques qui entraînèrent alors la détermination de l’Autriche, M. de Metternich se souvint peut-être des rapports qu’il avait eus, pendant son séjour à Paris, avec la reine de Naples, sœur de Napoléon ? L’article de Chaumont a presque le caractère d’une galanterie.