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L’ANACHRONISME DANS L’ART

Depuis quelques années, une tentative assez étrange attire les regards et provoque la discussion de ceux qui suivent le mouvement esthétique en France et à l’étranger, aussi bien au Salon du Champ-de-Mars qu’au Palais de Cristal de Munich, ou au Künstterhaus de Vienne. Ce spectacle archaïque à la fois et nouveau, déplaisant et attirant tout ensemble, qui irrite notre goût, choque notre érudition, scandalise notre religion, mais éveille notre curiosité et aiguise notre sens analyste, c’est celui des scènes du Nouveau Testament accommodées à la moderne, transportées sur la butte Montmartre ou dans une hôtellerie bavaroise ; c’est le Christ franchissant dix-neuf siècles et six cents lieues, et venant, en dépit des archéologues et des ethnographes, prêcher parmi les blouses de nos prolétaires ou les redingotes de nos capitalistes son Évangile un peu oublié. Tout le monde se rappelle avoir vu au Salon de 1891 cette pécheresse en robe de bal prosternée aux pieds du Christ qu’entouraient, en guise de Pharisiens, quelques notabilités parisiennes prenant leur café. Un peu plus loin, une Madeleine en costume finlandais pleurait en reconnaissant le Christ ressuscité au bord d’un lac polaire. On voyait encore le