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semble que le problème monétaire est loin d’avoir reçu une solution théorique, bien que les difficultés pratiques puissent paraître momentanément écartées dans un petit nombre de pays. Aussi, malgré la quantité énorme d’ouvrages publiés sur la matière, sans parler des considérations émises par d’éminens philosophes à diverses époques, est-il plus nécessaire que jamais d’en reprendre l’étude au point de vue doctrinaire. Il résulte, d’une façon évidente, de la condition présente de l’humanité, qu’il serait absurde de vouloir essayer de mettre l’univers entier au même régime monométalliste, que ce soit l’étalon d’or ou l’étalon d’argent. Or, si une vérité n’est pas susceptible d’application immédiate, nous devons être singulièrement circonspects à son égard et rechercher avec d’autant plus d’énergie et de sincérité les autres élémens de la question.

La théorie, à cette heure, doit se borner à affirmer une sorte de vérité élémentaire, à savoir qu’il n’est pas possible d’appeler du même nom un certain poids d’or ou un certain poids d’argent. Ici peut-être, comme en bien des choses humaines, l’imperfection de notre langage a contribué à obscurcir nos idées. Beaucoup d’ardentes controverses monétaires s’arrêteraient, ne seraient peut-être jamais nées, si nous nous étions mis au préalable d’accord sur la définition des mots et si nous n’avions pas désigné, dans la plupart des langues modernes, deux choses différentes par le même vocable. C’est là un point qui, croyons-nous, n’a guère été observé jusqu’ici, qui en tout cas n’a pas été mis en lumière ni placé, comme nous le jugeons nécessaire, à la base même des études monétaires.

Tout le monde a plus ou moins approfondi la question de la monnaie elle-même, énuméré les matières qui, en dehors des métaux précieux, ont servi successivement et servent encore aujourd’hui dans certaines parties du monde de mesure aux échanges. Les coquillages, les poignards, les paquets de tabac, les grains de verroterie, les bons de maïs des haciendas mexicaines, dans le passé ou dans le présent, ont joué et jouent ce rôle, en attendant la monnaie future qui — Edison l’affirmait ces jours-ci à un reporter américain — sera constituée par des cubes de farine séchée, comprimée et estampillée au coin du gouvernement. Si même nous nous bornons à ce qu’on est convenu d’appeler les métaux précieux, nous rappellerons que l’or et l’argent n’ont pas eu seuls ce privilège. La Russie a frappé à un certain moment des pièces de platine qui n’étaient point des monnaies divisionnaires. Mais, sans vouloir multiplier les difficultés d’un sujet déjà terriblement ardu par lui-même, qu’il nous suffise de