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D’un autre côté, l’Amérique ne cesse de nous envoyer ses récoltes, qui se maintiennent à un bas prix excessif. Droits et frets s’y ajoutent vainement. L’agriculture française ne peut se défendre.

Notre infériorité s’explique aussi par d’autres considérations. Aux termes de notre législation en matière de commerce extérieur, les marchandises étrangères peuvent, à leur arrivée en France, être considérées comme étant encore en territoire étranger, jusqu’à ce que le propriétaire ou le cosignataire en dispose, soit pour la consommation intérieure, soit pour la réexportation. Dans le premier cas, elles acquittent les droits de douane ; elles en sont indemnes dans le second. L’entrepôt est réel quand le dépôt a lieu dans des magasins gardés par les préposés de l’administration ; il est fictif pour celles des marchandises qui sont admises à séjourner dans les magasins des négocians.

Cette faculté que l’on réserve au commerce de garder à sa disposition, sans avoir rien à payer, des stocks parfois considérables. lui permet de dominer le marché et de faire varier les cours à sa fantaisie. Désire-t-on la hausse, les entrepôts se vident au dehors ; pour peu que l’on souhaite la baisse, on opère le déversement sur place. De cette conception aux accusations que les agriculteurs ne ménagent pas à la spéculation, il n’y a qu’un pas et ce pas a été vite franchi. C’est la spéculation qui prive la culture de ses bénéfices légitimes en se livrant sur les céréales à un véritable jeu de baccara, ainsi que n’a pas craint de le dire le représentant le plus autorisé des intérêts terriens, M. le ministre de l’agriculture lui-même. C’est la spéculation qui chaque fois a annulé les effets bienfaisans que l’on attendait des droits établis en 1885 et en 1887, en accumulant, quelque temps avant la promulgation de ces deux lois et en prévision de leur adoption, des approvisionnemens énormes. Ces approvisionnemens n’ont cessé de peser sur les prix et, par là même, ont rendu illusoires les secours que le législateur se proposait d’accorder à l’agriculture. L’augmentation des droits actuels se heurterait aujourd’hui à la même coalition des importateurs, qui en recueilleraient tous les fruits.

Aux méfaits de l’entrepôt viennent s’ajouter ceux de l’ad mission temporaire. Cette opération, qui permet d’importer temporairement, en franchise des droits, des produits étrangers pour être transformés en France ou y recevoir un complément de main-d’œuvre, — sauf à les réexporter ou à les réintégrer en entrepôt, — est applicable aux blés. Elle donne lieu, dit-on, à des fraudes considérables. La réduction des grains en farine produit