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et cela sans hâte et sans étranglement, une autre lui succède, développée largement aussi par le vieil Armel, en hymne de paternelle bénédiction. Les triolets à la Gounod reparaissent pour soutenir le chant, et celui-ci, montant jusqu’aux notes hautes de la voix de ténor, et redescendant ensuite, décrit une courbe véritablement belle. Puis viennent quelques mesures de remplissage, un vague soupçon, d’ailleurs assez heureux, de style liturgique, et tout le monde alors, le père de famille en tête, reprend le cantique : trémolos à l’orchestre, crescendo général, deux ou trois de ces redites faciles, que le langage ou l’argot de l’école appelle des rosalies, mais en somme du mouvement, de la chaleur, des sonorités puissantes, et, comme en tout finale de ce genre, aussitôt après l’éclat suprême, l’apaisement et le silence. Telle est la meilleure page d’écriture musicale que renferme la partition. Elle est tracée d’après les grands modèles : ceux d’Italie, nous le disions plus haut, et parfois ceux de France aussi. Mais d’en citerne fût-ce qu’un seul : le septuor de Lucie, ou bien, à propos de la bénédiction d’Armel, la bénédiction d’Éléazar, M. Chabrier sans doute ne nous pardonnerait pas. Et cependant, ce ne serait point pour l’en écraser, lui, que nous l’appellerions ces fragmens admirables, mais pour leur rendre seulement, à eux, l’honneur qu’on leur refuse aujourd’hui.

Voilà pour les parties intéressantes de l’œuvre et le reste ? Ce n’est pas le cas de dire avec Hamlet : « Le reste, c’est le silence. » Au contraire, c’est le bruit, et quel bruit ! L’ouverture, à cet égard, est véritablement pénible ; rien de plus désagréable à l’oreille que la coda : les trombones hurlant le thème du Walhalla, tandis qu’au-dessous l’orchestre fait rage. Oh ! la grosse, grosse musique, pour ne pas dire grossière ! Musique taillée, équarrie à coups de serpe ou de hache, travail de praticien qui ébauche plutôt que d’artiste qui achève. Quelqu’un a dit : Musique avant tout de musicien. Non pas, car si c’est un métier, et c’en est un, de faire une partition comme de faire un livre, il semble que l’auteur de Gwendoline ne le possède qu’à demi, ou l’ait appris trop tard ; qu’il ne mette au service d’un tempérament robuste, de sensations vives et d’idées parfois originales et fortes, qu’une technique incomplète, une plume lourde et un style embarrassé. Ouvrez seulement la partition de Gwendolin : à première vue elle se hérisse ; à l’audition, elle ne s’aplanit guère. Presque partout et presque en tout elle atteste l’effort, elle trahit la peine, que l’art doit toujours cacher. On dirait que l’auteur, en composant, n’était le maître ni des instrumens ni des harmonies, que des notes insoumises il a fait ce qu’il a pu, non ce qu’il a voulu, et que dans sa lutte avec les rebelles, après avoir porté de rudes coups et combattu vaillamment, il a fini pourtant par succomber. Materiem non superabat opus. L’ouvrier, si vigoureux qu’il soit, n’a pu vaincre la matière, ou les matériaux de son art. Il est vrai que cette matière, chaque jour