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rémunération. Mais d’abord de quel droit imposer à deux contractans les conditions de leur contrat ? Cette question, nous la posons une fois pour toutes, car il faudrait la reproduire sans cesse à propos des restrictions innombrables et diverses que le socialisme entend mettre à la liberté des conventions. L’ouvrier demande du travail, le patron offre un prix. S’ils ne s’accordent pas, la convention n’est pas formée : s’ils s’accordent, ils s’obligent réciproquement l’un envers l’autre, dans la plénitude de leur indépendance. Ils ne sont pas en tutelle et, puisque leur capacité civile est complète, laissons-les faire. L’employé, dit-on, est à la discrétion de l’employeur. Il en serait ainsi sous le régime purement collectiviste, parce qu’il aurait affaire à l’employeur unique. Mais nous supposons en ce moment que l’organisation naturelle de la société subsiste encore et, par conséquent, que la concurrence des patrons, sauvegarde de l’ouvrier, n’est pas abolie. S’il ne conclut pas avec l’un, il conclura sans doute avec l’autre, et, s’il ne s’entend avec personne, c’est qu’il prise trop haut ses services. Enfin il faut recoudre après avoir taillé, c’est-à-dire remplacer le salariat après l’avoir supprimé. Par quoi ? Selon toute apparence, par la participation obligatoire aux bénéfices. Nouvelle contrainte, car, si le salaire représente nécessairement une part des bénéfices, les intéressés sont assurément libres de traiter à forfait, ce qui peut diminuer la rémunération de l’ouvrier dans les années où l’on gagne beaucoup, mais ce qui l’assure dans les années où l’on ne gagne rien. Il n’est pas inutile de remarquer, en effet, que la participation obligatoire aux bénéfices, pure et simple (en admettant qu’elle n’implique pas la participation aux pertes), conduit l’ouvrier à manquer de pain toutes les fois que le bénéfice est nul. En aucune façon, m’ont répondu certains employés ; nous serons alors rémunérés n’importe comment. En vérité ! mais alors le salaire, le salaire exécré sort de son linceul et rentre par la grande porte ! Il subsiste par la force des choses et prévaut contre les sophismes économiques. L’idée se transforme et nous apparaît dans toute sa simplicité : maintenir le salaire quand il est désavantageux au patron, l’abolir quand il est désavantageux à l’ouvrier. N’insistons pas.

L’abolition du salariat se heurtant à divers obstacles, un certain nombre de socialistes ont proposé, par exemple au congrès de Tours, d’établir l’égalité des salaires. C’est une nouvelle et non moins profonde atteinte à la liberté. D’abord, s’il s’agit d’établir cette égalité chimérique entre toutes les professions, on touche à l’absurde : si l’on prétend assimiler, quant à la rémunération, les métiers les plus faciles à ceux qui comportent de longs efforts,