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certainement encore de plus hautes ambitions. Quelles sont donc les espérances nouvelles qu’il nourrit ; celles qu’il a conçues dès qu’il a eu connaissance des clauses du traité ? Faut-il croire qu’elles sont inavouables puisqu’on les cache ? Et au préjudice de quel voisin doivent-elles se réaliser ? Ce ne peut être de l’Autriche, l’ennemie d’hier, l’alliée d’aujourd’hui, c’est donc de la France, et, renonçant à satisfaire l’ambition de l’Italie dans les Alpes ou dans l’Adriatique, on se propose d’en assurer le triomphe dans la Méditerranée. S’il en est ainsi, nous ne nous serions pas trompé en évoquant les insidieux procédés du roi Victor-Amédée, et en rappelant l’usage qu’il en a fait. On conçoit que M. de Bismarck, se séparant hostilement de la Russie, ait recherché l’alliance de l’Autriche ; on conçoit mieux encore que l’Autriche, redoutant un rapprochement toujours possible entre les deux empires du Nord, se soit unie à l’Allemagne. A Berlin comme à Vienne, au surplus, on n’a usé d’aucun déguisement. Si étrange que ce fut d’apprendre à une grande puissance qu’on s’est entendu pour la combattre au besoin, on a eu le courage de l’avouer et on a livré à la publicité les engagemens qu’on a contractés. Pourquoi l’Italie ne suit-elle pas cet exemple qui ne manque ni de fierté ni de grandeur ? C’est donc qu’elle ne peut tout confesser sans mettre à jour des vues perfides et ambitieuses qui justifieraient tous les soupçons ?


VI

Mais ce n’est pas la guerre, ne cesse-t-on de répéter, que recherche la triple Alliance, c’est la paix qu’elle se propose de maintenir en la incitant à l’abri de toute atteinte. M. Crispi lui-même l’a affirmé ; sa conduite, durant son premier ministère, n’a été qu’un long démenti donné à ses paroles. Tous ses actes ont été des provocations, et il n’a pas dépendu de lui, dans plus d’une occasion, que les dissentimens qu’il provoquait, n’aient dégénéré en une rupture, en un conflit armé. La conduite prudente et digne du gouvernement de la République a déjoué tous les calculs du ministre italien. M. Crispi. il faut bien le reconnaître, ne fut ni soutenu ni peut-être encouragé par les cabinets de Vienne et de Berlin, et il est aisé de comprendre et d’expliquer ce premier dissentiment entre les trois cours alliées. Esprit avisé, M. Crispi se rendait exactement compte des conséquences qu’auraient fatalement pour son pays, à courte échéance, les charges que fait peser sur lui son accord avec ses alliés ; il comprenait l’urgence des solutions promptes, immédiates. A la honte d’une déconfiture financière et de ses conséquences, il préférait la guerre qui,