attendre d’elles ni cette vigilance infatigable, ni cette prévoyance minutieuse que suscite l’intérêt personnel et que l’unité de direction tient en éveil. D’ailleurs on aurait déplacé, non supprimé la concurrence et ses effets, à moins que les associations ne s’entendissent entre elles pour limiter la production. Nous touchons donc à l’absurde, parce que nul n’est assez éclairé pour dire tout à coup, en connaissance de cause : Assez de fer, assez de ; draps, assez de vêtemens, assez de logemens. Nul n’est assez sur de lui-même et du lendemain pour décréter que le prix des choses n’est plus en rapport avec leur utilité réelle et pour en déterminer la hausse par voie d’autorité. D’ailleurs on ne s’arrête pas sur cette pente et, comme le progrès d’une hausse factice peut sembler intolérable aux consommateurs, il faudra donc aussi, le cas échéant, décréter la baisse. Ce n’est pas impunément qu’on commence à détourner le cours naturel des choses : le plus simple et le plus sage est de laisser à la liberté le soin de corriger les maux de la liberté.
Si « la productivité du travail humain s’accroît dans des pro portions gigantesques », c’est, lit-on dans le programme d’Erfurt, que « l’outil se transforme en machine ». Il y a longtemps que l’outil s’est révolté contre la machine. Personne n’ignore que les copistes ont brisé les premières presses, que les matelots ont détruit les premières chaloupes à vapeur. Proudhon décrivait en 1848, dans un style aussi violent que pittoresque, cette « sorte de éludera qui tantôt apparaît sous la forme de Gutenberg et tantôt revêt celle d’Arkwright ». Hier encore, les délégués d’une chambre syndicale parisienne demandaient au Parlement d’établir sur les machines un impôt équivalent au travail qu’elles épargnent. On ne comprend pas, en vérité, que cette erreur surannée résiste à l’étude impartiale et réfléchie des faits. L’invention de l’imprimerie a tué, sans doute, l’industrie des copistes ; mais quel immense surcroît de travail elle procure à toute une armée de travailleurs ! La transformation de la marine a dérangé quelques habitudes et froissé quelques intérêts ; mais l’ancienne marine à voiles n’employait pas plus d’hommes que n’en occupent aujourd’hui les deux navigations réunies. En 1700, quand Arkwright prit son premier brevet pour une machine à filer, les filatures an glaises comptaient 7900 ouvriers ; elles en comptent aujourd’hui 500 000. Les chemins de fer ont ruiné les diligences, mais les compagnies françaises rémunèrent 230 000 employés[1]. La perturbation provisoire que les machines apportent dans le marché du travail est, en général, largement compensée par un
- ↑ Comp. Yves Guyot, La Tyrannie socialiste, p. 68.