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démonstrations de respect : prêtres et ascètes, savans et mendians religieux, mais aussi cuisiniers et soldats, scribes et marchands, cultivateurs et bergers, voire maçons ou porteurs de chaise. Il y a mieux : les brahmanes Sanauriyas du Bandelkhand ont pour profession héréditaire le vol. Il est vrai qu’ils n’exercent que le jour. Et le respect des Hindous pour des brahmanes va si loin que, à en croire un proverbe, peut-être ironique, être volé par eux doit être considéré comme une faveur du ciel. Il ne manque pas du reste d’autres castes de voleurs, quoique de moins haut parage.

Cette diversité d’occupations dans la caste brahmanique n’est pas une nouveauté. Un état de choses très pareil est déjà sanctionné par les lois de Manou et par d’autres autorités également vénérables. Je m’empresse d’ajouter que, dans beaucoup de cas, ces distinctions engendrent de ces nouvelles sous-castes qui sont pour moi les castes véritables ; mais la conséquence est loin d’être constante.

L’intrusion de ces populations nombreuses qui, inférieures au niveau moyen des castes aryennes, apportent dans le système du trouble et du flottement, a pu contribuer aussi à entamer la rigueur du principe. C’est à merveille. Je reconnais volontiers que la spécialité et l’hérédité de l’occupation n’ont pas été seulement un lien puissant pour la caste, mais ont souvent été le centre d’attraction autour duquel ont essaimé de nouveaux groupes. Malgré tout, il est visible que la communauté héréditaire de la profession souffre bien des atteintes dans l’ordonnance des castes.


IV

A ceux pour qui la caste est affaire de métier, répond le proverbe au dire duquel « la caste n’est qu’une affaire de repas ». Il prouve au moins que l’habitude n’a pu émousser, même pour les Hindous, la surprise que nous inspire le soin scrupuleux avec lequel ils observent deux fois très compliquées et très gênantes : la première est de n’accepter aucune nourriture qui ait été préparée ou seulement touchée par des gens d’une caste qu’ils considèrent comme inférieure ; la seconde, de ne jamais prendre leur repas avec des gens de caste plus basse, ce qui, en vertu d’une réciprocité toute naturelle, revient à ne jamais prendre leur repas qu’avec des congénères. Voilà une règle qui troublerait étrangement nos mœurs démocratiques. Même pour l’Inde, elle n’est pas sans inconvéniens. Les scrupules qu’elle entretient