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survivante à suivre son mari sur le bûcher. La coutume qui encourageait par tous les moyens, si elle ne l’exigeait pas expressément, un pareil sacrifice, ne pouvait pas être tendre aux secondes noces des veuves. Si la condamnation n’en remonte pas aux périodes primitives, elle est à coup sûr fort ancienne : la tradition littéraire en fait loi. Elle a pris une singulière autorité dans l’Inde tout entière. Il s’en faut et de beaucoup que la prohibition soit universelle ; elle est générale dans les hautes castes. Propagée, semble-t-il, avec ardeur par l’exemple et le conseil des brahmanes, elle est devenue comme une pierre de touche pour le niveau social des castes ; celles qui la mettent en pratique sont seules estimées. L’abandon en est une cause de déchéance pour des castes plus élevées d’origine ; l’adoption en est pour les plus basses un moyen de s’élever, d’affirmer leur rang dans l’organisation brahmanique. Au sentiment des meilleurs juges, cette règle, si elle n’est point védique, est d’origine brahmanique et s’est étendue de proche en proche. Quoiqu’il en puisse être, c’est encore une loi de caste, relativement à laquelle chacun suit la coutume héréditaire, réputée immémoriale, du groupe auquel il appartient par sa naissance.

D’autres particularités se lient à celle-là. Et, par exemple, le divorce, qui n’existe pas légalement pour l’Hindou fidèle à la loi, se pratique, à côté du second mariage des veuves, dans nombre de castes inférieures. Inversement, la coutume qui exige que les filles soient mariées enfans, plusieurs années souvent avant que la vie commune devienne possible, est considérée comme un signe de supériorité sociale. Là encore, la tradition de la caste exerce une pression souveraine. Un Hindou a ingénieusement tenté d’expliquer cette coutume comme un moyen d’assurer l’intégrité de la caste. En attendant l’âge où le désir s’éveille, on risquait que le goût des intéressés parlât plus haut que le scrupule familial et religieux. L’intérêt de la caste joue un rôle plus certain dans un cas qui mérite d’être signalé en passant, moins encore pour son extension que pour la tendance qu’il révèle.

Un homme n’est, en bonne règle, autorisé à chercher une fiancée que dans sa caste. Il est certain pourtant que la pratique, tempérée par les facilités que donne la polygamie, a toujours supporté bien des exceptions. Il subsiste en fait beaucoup du sentiment primitif en vertu duquel l’homme, élevant à lui, par le fait qu’il l’associe à son culte domestique, la femme qu’il épouse, peut jouir dans son choix d’une liberté plus large. De l’aveu même de la théorie brahmanique, l’union d’une femme de haute caste avec un homme de caste basse entraîne pour leur postérité une déchéance beaucoup plus profonde que l’association inverse. La