Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/918

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fabliaux, de brillantes légendes sur les chevaliers du Graal, des chansons subtiles de troubadours ; il attend, surtout, des introductions claires, qui l’orientent. — Voici qu’il reçoit les quatre volumes que la Société distribue annuellement ; il les parcourt. C’est tantôt un triste roman, Brun de la Montagne, par exemple : est-ce un conte de fées ou une épopée ? on dirait un récit de ma mère l’Oye rimé par Chapelain dans le mètre héroïque de la Pucelle ; ou bien, c’est un recueil compact de ballades moralizées d’Eustache Deschamps, et la Société veut bien lui promettre qu’il en recevra cinq ou six volumes encore, parfaitement semblables au premier. Les introductions des éditeurs sont abstruses : ce ne sont que classemens de manuscrits, diagrammes, discussions de phonétique et de rythmique. Il se dégage souvent des textes un parfum de médiocrité littéraire, des introductions une impression d’ésotérisme érudit ; ce qui le rebute surtout, c’est l’arbitraire et le désordre dans le choix des publications. Il referme, déçu, ces volumes, et quand les suivans lui parviennent, il les relègue, sans les couper, dans un coin de sa bibliothèque. — Les années se sont succédé, pourtant ; chacune a porté au dépôt primitif sa modeste alluvion. Un jour, il s’avise de considérer d’ensemble la collection : non sans surprise, il voit ces volumes disparates se grouper ou s’opposer, se répartir en séries. Il observe que chaque genre littéraire du moyen âge s’y trouve plus ou moins exactement représenté, il constate que l’on ne se ferait pas une idée complète de la plupart d’entre eux, si l’on ignorait cette collection. Il s’aperçoit alors que la Société a su faire ce que nul savant isolé n’aurait pu tenter : supporter le délai, suivre un long dessein obscur pour presque tous. Il comprend qu’elle est une image symbolique de la science : patiens quia æterna.

La collection s’ouvre par un album de planches exécutées par la photogravure. M. Gaston Paris y a réuni les plus anciens monumens de la langue française, du IXe au XIe siècle ; il en a promis un commentaire philologique, dont il n’a donné jusqu’ici qu’un précieux spécimen. C’était faire œuvre pie que de sauver d’une destruction toujours possible ces vénérables feuillets de parchemin. Ces quelques fragmens sauvés comme par miracle, cette formule du serment de Strasbourg que Nithard a insérée, à titre de curiosité, dans sa chronique latine ; — cette séquence de sainte Eulalie, que le menu peuple chantait à l’office, vers l’an 880 :


Buona pulcella fut Eulalia,
Bel avret corps, bellezour anima…


humbles vers, qui sont pourtant les prototypes du glorieux déca syllabe de Ronsard et de La Fontaine ; — ce poème de la Passion ;