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moins débrouillée de toutes. Presque tous les romanistes, en effet, plus curieux des origines, arrêtent leurs études à l’avènement des Valois, et, sauf de très honorables exceptions, le XVe siècle n’a guère attiré que des curieux, amateurs de plaquettes gothiques. D’autre part, comme les textes du XVe siècle sont plus faciles à lire, sans préparation spéciale, que ceux du XIIe, c’est, par eux que la plupart des lettrés font connaissance avec le moyen âge : ils sont aussitôt déçus, et s’en tiennent là. Ce sont assurément ces lectures, vite abandonnées, d’œuvres du XVe siècle, qui ont valu à toute la littérature du moyen âge sa réputation si bien établie de tristesse et de médiocrité.

Cependant, l’époque de Froissart et de Commynes, de Charles d’Orléans et de Jean Le Maire de Belges ne saurait demeurer, sur notre sol littéraire, une sorte de terra incognita. Il faut louer la Société d’avoir entrepris de publier l’œuvre touffue d’Eustache Deschamps et de Christine de Pisan. Quelle est la signification de ces 171 rondeaux d’Eustache Deschamps, de ces 89 virelais, de ces 14 lais, de ces 28 complaintes ou traités divers, de ces 17 épîtres, de ces 1 175 ballades ? Nul ne l’a dit encore ; : mais ces publications seront précieuses quand on se posera cette question : Le XIVe et le XVe* siècle sont-ils un âge de décomposition ou de fermentation féconde ? un couchant ou une aube ? Elles serviront grandement à celui qui écrira quelque jour ce livre nécessaire : une Introduction à l’histoire de la Renaissance française.

Par un singulier contraste, le même temps qui vit se développer la pédantesque école bourguignonne et ses poèmes à forme fixe, aux rimes puérilement savantes, rimes batelées, brisées, en chaînées, couronnées, senées, fratrisées, vit aussi fleurir un aimable renouveau de poésie populaire. Considérez ces deux recueils contemporains, publiés par la Société : d’une part, les Rondeaux et autres poésies du XVe siècle, amusettes compliquées et quintessenciées de grands seigneurs ; d’autre part, les Chansons du XVe siècle, simples chants de vilains. « Dans ce XVe siècle, dit M. G. Paris, où fleurit l’art et science de rhétorique, qui s’ouvre avec Alain Chartier et se termine avec Guillaume Crétin, où règnent sans partage la fatigante allégorie et la lourde imitation du latin, une veine de poésie toute neuve, abondante, fraîche et savoureuse, vient à sourdre dans quelques provinces et à gazouiller doucement. C’est le vrai courant français qui s’échappe par une fissure. Les grandes eaux poétiques de ce temps-là sont, depuis longtemps, taries ; mais le léger filet d’eau qui s’est échappé au temps de Jeanne d’Arc court toujours, et l’on a toujours plaisir à boire dans le creux de sa main quelques gouttes de son onde limpide, qui brille gaîment au soleil parmi les herbes et le gravier. »