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tout faire par lui-même ; il fit tout mal et, au bout de peu de temps, ne voulut plus rien faire ; ce fut pourquoi il acclama l’Empire, dont l’un des mérites, aux yeux de la nation, était de la débarrasser d’un sceptre qu’elle était lasse de porter. La constitution de 1875 n’est pas tombée dans les mêmes erreurs que celles de la première République. Elle organise un pouvoir exécutif suffisamment fort, en théorie, si l’on ne prend pas soin de l’énerver, de le désarmer dans la pratique.

C’est là en effet ce qui s’est produit. Comme le disait il y a quelque temps M. Sébline, le président du centre gauche du Sénat, « nous avons aujourd’hui deux constitutions, celle de 1875, qu’on peut lire dans les recueils de lois et qui est un décor, celle que l’usage nous a faite, qui n’est pas rédigée en articles et qui est la vraie. » D’après la première, le pouvoir exécutif est confié à des ministres qui sont responsables devant les Chambres et auxquels le personnel administratif est subordonné. D’après la seconde, le pouvoir exécutif est exercé dans les bureaux des ministères, à Paris, avec la coopération active des députés et des sénateurs, dans les bureaux des provinces avec le concours et sous les ordres des politiciens, élus ou non. Ce qu’est le ministre tous ses auxiliaires le sont comme lui. Tous sont à la merci d’un caprice de leur chef, qui est à la merci d’un caprice des députés, menés eux-mêmes à la baguette par cette fantasque et redoutable maîtresse qui s’appelle l’opinion publique.

M. Cavaignac a fort bien fait de signaler les inconvéniens d’un pareil état de choses, dont tout le monde se plaint et qui néanmoins persiste, et persiste par la faute même des députés. La Chambre nouvelle n’a encore tenu, depuis sa convocation, qu’une quarantaine de séances, dont quatorze ont été employées, soit à la vérification des pouvoirs, soit à la formation du bureau. Dans les vingt-six séances restantes, on a eu à examiner onze questions et treize interpellations, et deux de celles-ci ont duré plusieurs jours. C’est donc tout au plus quatre ou cinq séances que les représentans ont pu consacrer au travail législatif proprement dit. Il est vrai que le ministère actuel s’efforce de réagir, que le président du Conseil sait poser avec énergie la question de confiance et entend revendiquer la plénitude du rôle qui lui appartient de chef de cette majorité, à laquelle M. Cavaignac, qui en fait partie, donne de profitables conseils.

Il est un point toutefois du discours dont nous parlons sur lequel nous avons le regret d’être en désaccord avec l’honorable député de la Sarthe : c’est le projet de réforme qu’il préconise de notre système d’impôts. M. Cavaignac expose, et nous lui concédons volontiers ces prémisses, que, s’il est une idée juste, c’est que le superflu doit payer à l’état une plus large dîme que le nécessaire : « Si vous imposez, dit-il, à un petit revenu de 2000 francs un impôt de 2 pour 100 et si vous imposez à une fortune de 300000 francs de rente ce même sacrifice de