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Personne n’a fouillé le Véda avec plus de compétence que M. Ludwig, ni plus de penchant à y dénoncer la caste. Il ne s’est laissé arrêter par aucune des conclusions négatives, même les plus autorisées. Il n’a rien découvert. Des classes, oui ; des castes, non. Que la complication même des rites et des chants ail, dès l’époque védique, solidement cimenté le sacerdoce, que les fonctions en aient été souvent, habituellement, même, héréditaires, personne n’en peut douter. Qu’il se soit formé une classe de chefs riches, puissans par les armes, et que cette noblesse ait dans l’Inde, comme ailleurs, reposé essentiellement sur la naissance, M. Ludwig n’a rien démontré de plus. Il n’a retrouvé aucune des limitations positives que suppose la caste, ni prouvé que ces Maghavans qu’il assimile aux Kshatriyas appartinssent à un groupe fermé. Au fond, M. Ludwig reconnaît lui-même qu’il ne peut discerner que deux classes distinctes, l’une de prêtres, l’autre de nobles, placées au-dessus de la masse du peuple aryen, des Viças. S’il estime que ces indices suffisent pour affirmer l’existence du régime des castes, c’est qu’il prend son point de départ dans le système brahmanique. Il considère, au moins tacitement, ce système comme l’expression exacte des faits ; par conséquent toute trace qui, dans le passé, accuse avec lui une certaine concordance, démontrerait que, du temps où elle remonte, il existait dans son ensemble. C’est une pétition de principe.

M. Zimmer était certainement autorisé à en prendre avantage en faveur de la thèse opposée. Autre chose est de décider si, inversement, il est certain qu’il n’ait point existé de castes dès l’époque où furent composés les hymnes les plus anciens. Si l’on songe combien, malgré son importance souveraine dans la vie pratique et sociale, le mécanisme des castes (je ne parle pas de la domination des brahmanes ou des nobles, comme classes) tient au fond peu de place dans toute la littérature postérieure, on avouera que le seul silence des textes a ici peu de poids. Si, comme je l’estime, la caste prend son origine dans une évolution normale de la plus ancienne constitution de la famille, évolution organique, mais spéciale à l’Inde, déterminée par les conditions ethniques et économiques, géographiques et psychologiques qui lui sont propres, le développement a dû se produire trop lentement, il repose sur des élémens trop primitifs, trop instinctifs de la vie, pour qu’une littérature comme celle des hymnes, déjà ambitieuse et déjà savante, promette sur ces élémens, sur leur développement, beaucoup de témoignages utiles. Le système qui se manifeste dans la tradition hindoue n’existait pas encore au temps des hymnes anciens, ou du moins n’était pas reconnu par leurs auteurs ; cela est