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de Chavarria, Navarrais de naissance, y résidant et marié à doña Maria Davalos, fille de feu le capitaine Juan Davalos et de Maria de Ulloa, nonne à la Plata dans le couvent qu’elle y fonda. Nous arrêtâmes les comptes, et il en résulta un reliquat de mille pesos en faveur dudit Arquijo, mon maître. Ledit Chavarria me les versa de fort bonne grâce, m’invita à dîner et m’hébergea deux jours. Ensuite, je pris congé et partis, chargé par la femme de plusieurs commissions pour sa mère, nonne à la Plata, que je devais aller visiter de sa part.

Après avoir quitté mes hôtes, je m’amusai avec des amis à des bagatelles, jusque sur le tard. Enfin je partis. Mon chemin était de passer devant la porte de Chavarria. En passant, je vis du monde dans l’allée de la maison ; au dedans on menait grand bruit. Je m’arrêtai pour écouter. Au même instant, doña Maria Davalos me cria de la fenêtre : — Seigneur capitaine, emmenez-moi, mon mari veut me tuer ! — Ce disant, elle se jette en bas. Deux moines s’approchèrent et me dirent : — Emmenez-la ; son mari l’a trouvée avec don Antonio Calderon, neveu de l’Évêque ; il a tué l’homme et veut en faire autant à la femme, qu’il tient enfermée. — Sur ce, ils me la mirent en croupe, et je piquai ma mule.

Je n’arrêtai pas de marcher jusqu’à la minuit que j’arrivai au rio de la Plata. J’avais rencontré en chemin, venant de la Plata, un domestique de Chavarria qui nous dut reconnaître, malgré tout ce que je fis pour m’écarter et me celer. Il avisa probablement son maître. En arrivant au fleuve, je fus désespéré ; il était fort gros, et il me parut impossible de le franchir à gué. Elle me dit : — En avant ! Il faut passer, coûte que coûte, à la grâce de Dieu ! — Je mis pied à terre, tâchai de découvrir un gué et me décidai pour celui qui me parut le meilleur. Je remontai, mon affligée toujours en croupe, et entrai dans l’eau. Nous enfonçâmes. Dieu nous soutint et nous passâmes. Une auberge était proche, je réveillai l’hôte, qui fut ébahi de nous voir à pareille heure, ayant traversé le fleuve. Je m’occupai de faire reposer ma mule. L’hôte nous servit des œufs, du pain et des fruits. Nos vêtemens tordus et égouttés, nous repartîmes grand’erre et, au point du jour, découvrîmes, à cinq lieues environ, la cité de la Plata.

Cette vue nous avait un peu consolés, quand tout à coup doña Maria m’étreint plus fort en s’écriant : — Aïe, Seigneur, mon mari ! — Je me tournai et le vis monté sur un cheval qui paraissait rendu.

Je ne sais vraiment pas, et j’en suis encore émerveillé, comme cela se put faire. Je partis de Cochabamba le premier, le laissant