Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aventure. Elle m’écouta et me dit : — Comment vous laissâtes-vous détrousser ? — Seigneur, répondis-je, je n’en pouvais mais. — Combien étaient-ils donc ? — Neuf, seigneur, avec des escopettes, les chiens levés, qui nous prirent en sursaut, au coin d’un hallier. — Sa Majesté fit signe avec la main de vouloir mon placet. Je le baisai et le lui remis. — Je le verrai, dit-elle. — Et Sa Majesté, qui était alors debout, sortit.

Je ne tardai guère à recevoir le mandat par lequel Sa Majesté ordonnait de me pourvoir de quatre rations d’alferez réformé et de trente ducats de gratification. Sur ce, ayant pris congé du marquis de Montes Claros, auquel je devais tout, je m’embarquai sur la galère courrière de Sicile, le San Martin, qui faisait route pour Gênes.



XXV



Partis de Barcelone sur la galère, nous arrivâmes rapidement à Gênes, où nous restâmes quinze jours. Un beau matin, il me vint à l’esprit d’aller voir le contrôleur général Pedro de Chavarria, de l’habit de Saint-Jacques. Il était, paraît-il, de trop bonne heure ; sa maison n’était pas encore ouverte. Je me mis à me promener pour tuer le temps. Puis je m’assis sur un banc de pierre à la porte du prince Doria. Peu après, un homme bien vêtu vint aussi s’y asseoir. C’était un galant soldat, à la longue chevelure, que je reconnus au parler pour un Italien. Nous nous saluâmes. La conversation s’engagea. Bientôt, il me dit : — Vous êtes Espagnol ? — Je lui répondis que oui. — J’en conclus que vous devez être glorieux, car, pour arrogans, les Espagnols le sont, bien qu’ils n’aient pas autant de poigne qu’ils s’en vantent. — Moi, je les vois en tout et pour tout très excellens mâles, répliquai-je. — Et moi je sais qu’ils ne sont tous que de la m… ! — Alors me levant : — Ne parlez pas de la sorte, car le dernier des Espagnols vaut mieux que le meilleur Italien. — Soutiendrez-vous votre dire ? fit-il. — Certes ! — Eh bien, soit, sur-le-champ ! — Je passai derrière un château d’eau qu’il y avait là. Il me suivit. Nous mîmes les épées au clair et commençâmes à ferrailler. Tout à coup je vois un autre galant s’aligner à son côté. Tous deux s’escrimaient de taille et moi d’estoc. Je touchai l’Italien, il tomba. Il me restait l’autre, que je faisais rompre devant moi, quand arrive un bien gaillard boiteux, sans doute un ami, qui se met à son côté et me pousse vivement. Un troisième survient et se range auprès de moi, peut-être parce qu’il me vit seul, car je ne le reconnus pas. Bref, il accourut tant et tant d’amateurs, que ce devint une vraie bagarre, dont tout bellement m’étant retiré sans que per-