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besoin, pour conserver son prestige naissant en Occident, de rompre avec l’empereur d’Orient qui était demeuré son suzerain : en cela le schisme lui a servi. Mais du jour où l’empire d’Orient se fut affaibli, l’idée, nouvelle alors, de la catholicité poussait les papes à reconquérir l’Orient à la foi romaine. La quatrième croisade fut en réalité une tentative, désavouée par le pape, de conversion par la force. Elle réussit mal. Les papes essayèrent alors de résoudre le différend pacifiquement, comptant que l’union dans le dogme entraînerait l’union politique. Les conciles échouèrent comme les armées. L’Union proclamée solennellement au concile de Lyon en 1274, puis au concile de Florence en 1438, ne fut jamais réalisée que dans les actes de ces conciles. En fait, elle ne fut jamais reconnue par l’Orient. Les Byzantins, lassés de la tyrannie des Occidentaux, appelèrent les Turcs pour les débarrasser des Latins, préférant, suivant l’expression du grand-duc Luc Notaras, « le turban turc à la tiare latine ».

Après la chute de Constantinople, Rome se détourna de l’Orient : les débris de la chrétienté disparaissaient sous l’invasion musulmane et l’Orient demeurait, pendant trois siècles, à peu près impénétrable pour les Occidentaux. D’ailleurs, la lutte contre le protestantisme et l’organisation spirituelle du Nouveau Monde absorbaient complètement l’activité du Saint-Siège. Mais depuis que le christianisme a reconquis sur l’islamisme la majeure partie de l’Orient et que chaque jour tend à se réaliser davantage le rêve d’un nouvel empire d’Orient chrétien, devant lequel s’ouvre l’immensité de l’Asie, voilà l’antagonisme de l’Orient et de l’Occident qui renaît plus menaçant ; mais, cette fois, il semble qu’il ne doive plus tourner au profit de l’Occident et que l’Orient à son tour nous réserve un « autocrator » qui prendra enfin la revanche de Charlemagne. Cependant, depuis un demi-siècle, le Saint-Siège a repris les projets d’Union qu’il avait presque abandonnés pendant trois siècles ; mais en les reprenant, il a inauguré une nouvelle politique : il s’adresse directement aux fidèles et s’efforce, par la conversion individuelle ou en masse, de diminuer les troupes de l’orthodoxie, espérant qu’autour de ce noyau viendra un jour se grouper le reste des Orientaux rebelles. Léon XIII semble avoir fait de l’union le rêve de son pontificat. Cette œuvre de pacification devait surtout séduire l’imagination si belle et si harmonieuse de « ce pontife suprême qui consacre les puissances de son génie et les délicatesses de son cœur à tout pacifier au nom de Jésus-Christ, non seulement dans l’Église, mais dans le monde du travail et jusque dans les régions si troublées de la politique contemporaine[1]. » Unum ovile, unus pastor. Pour accomplir

  1. Allocution de Mgr Langénieux à Jérusalem.