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avait trop de monde autour de lui. J’ai pris ma revanche aujourd’hui dès que nous avons été seuls. Le roi m’a répondu : « Oui, Dieu a miraculeusement béni nos armes ! » Après quoi il s’est mis à pleurer. Il a déploré à plusieurs reprises les pertes d’hommes qu’entraînaient ces batailles. En rencontrant Napoléon, le roi lui a dit que, pour pénible qu’il lui fût de le revoir ainsi, il se consolait en pensant qu’il n’avait point cherché cette guerre ; ajoutant qu’il croyait bien d’ailleurs que Napoléon lui non plus ne l’avait pas absolument désirée. A quoi Napoléon : Oh ! non, non ! mais l’opinion publique ! Le roi, un peu étonné, lui fit observer que c’était pourtant lui-même qui avait choisi les ministres à qui revenait toute la responsabilité de la guerre. Alors Napoléon, au lieu de répondre, s’est mis à dire que l’armée française ne pouvait songer à lutter avec l’armée prussienne, que celle-ci était sublime, en particulier l’artillerie. Et cela me touche personnellement ! a-t-il ajouté, car je me considérais comme le régénérateur de l’artillerie française. Le roi lui a demandé ensuite s’il consentirait à recevoir pour résidence Cassel, ancienne résidence de son oncle Jérôme. Napoléon a naturellement consenti. En prenant congé du roi, il a essuyé une larme. La route de Paris est maintenant ouverte ; le quartier général sera demain à Rethel, après-demain à Reims. On a saisi une lettre de Mme Bazaine à son mari, où elle lui annonce qu’on a recueilli une somme considérable pour lui élever un monument, mais qu’elle préfère employer cet argent au profit des blessés. Saisie aussi une lettre de Bazaine à l’impératrice où il déclare qu’il lui sera impossible de tenir à Metz.

« 4 septembre. — Hier, au thé, un fort débat s’est élevé sur les conséquences légales et politiques des déclarations de Napoléon, dont personne ne se rappelait plus exactement le texte. J’ai été surpris de voir comme tous, bien qu’aucun d’eux ne fût juriste, attachaient une importance exagérée au côté formel et juridique, tandis qu’en pareille matière la logique des faits devrait tout primer. Tout le monde était d’accord pour reconnaître que les Bavarois s’étaient admirablement conduits ; on reconnaissait aussi que les Français s’étaient montrés pleins de bravoure.

« Reims, 7 septembre. — L’empire français est fini. Hier, après dîner, dans la grande salle où se tenaient jadis les rois de France avant leur couronnement, Bismarck a lu les dépêches de Paris sur la déchéance de l’empereur. Napoléon nous a rendu service en diminuant le prestige de la Russie par sa guerre de Crimée ; quant à en finir tout à fait avec ce prestige, c’est ce dont il faudra que nous nous chargions un jour nous-mêmes, autant que pourront le permettre les relations des maisons régnantes. Le roi s’obstine à tenir pour un mérite à Napoléon qu’il nous ait laissés agir en 1866 ; mais c’est de quoi je ne peux, pour ma part, lui savoir aucun gré, car il n’est pas douteux pour moi qu’il comptait sur notre défaite.